Dans le monde merveilleux – et parfois absurde – du développement professionnel, il existe toute une palette de conseils réservés quasi exclusivement aux femmes. Vous les avez peut-être entendus au détour d’un atelier de coaching, glissés au creux d’un entretien annuel ou assénés lors d’un afterwork RH. Le hic ? Ces recommandations, si elles prétendent booster votre carrière, sont rarement adressées aux hommes. Pire : elles reflètent souvent des normes implicites, des attentes genrées, et des stéréotypes bien ancrés. Décryptage des injonctions silencieuses, et sexistes, du monde du travail.
« Ne soyez pas trop ambitieuse »
Le mot « ambition » a longtemps été perçu comme suspect lorsqu’il était associé aux femmes. Être ambitieuse serait « mal vu », « égoïste » ou « trop dur ». Selon une étude publiée par Harvard Business Review (2020), les femmes qui expriment clairement leur volonté d’occuper des postes à responsabilité subissent davantage de critiques sur leur personnalité que leurs homologues masculins.
Ce biais se retrouve dans les évaluations de performance : une femme ambitieuse est souvent perçue comme « moins collaborative » ou « moins à l’écoute », là où un homme dans la même posture est considéré comme « visionnaire » ou « déterminé ».
« Souriez davantage »
Qu’il soit franc, discret, sincère ou de façade, le sourire semble être un outil de travail indispensable… pour les femmes. L’injonction à « sourire plus » est l’un des conseils les plus répandus dans les espaces professionnels féminins. Or, comme l’a démontré une étude menée par l’Université Yale, cette injonction touche très peu les hommes.
L’idée ? Rendre l’environnement plus « accueillant », paraître « accessible », créer une atmosphère « harmonieuse ». On ne vous demande pas seulement de faire votre travail – il faut aussi veiller à ce que tout le monde autour de vous se sente à l’aise. Les hommes, eux, peuvent afficher un air concentré, voire carrément fermé, sans que cela ne nuise à leur image. Quand vous souriez, c’est de la douceur ; quand eux ne sourient pas, c’est du sérieux. Deux poids, deux visages.
« Parlez moins fort, soyez plus douce/discrète »
Parler fort, interrompre, défendre ardemment ses idées : chez un homme, cela témoigne d’un leadership affirmé. Chez une femme ? C’est souvent perçu comme « trop agressif », « trop autoritaire », voire « désagréable ». Résultat : on vous conseille de « parler plus doucement », de « ne pas trop prendre de place ».
Que cache vraiment ce conseil ? Une volonté de cadrer votre expression dans des formes qui ne dérangent pas, qui ne froissent personne. Un homme qui hausse la voix est passionné. Une femme qui fait de même est hystérique. C’est à vous qu’on demande de baisser le volume, pas à la société de changer de fréquence.
« Travaillez votre confiance »
À compétences égales, combien de fois a-t-on conseillé à une femme de « travailler sa confiance en soi » ? Trop souvent. Derrière cette remarque bien intentionnée se cache une idée tenace : les femmes seraient naturellement moins sûres d’elles, moins légitimes. On vous oriente alors vers des formations en assertivité, en prise de parole, en posture… Pendant que vos homologues masculins, eux, apprennent à négocier, à piloter des projets stratégiques ou à développer leur réseau.
C’est flatteur d’être encouragée à s’affirmer, mais pas quand cela suppose que vous partez toujours avec un handicap. La confiance ne devrait pas être un prérequis féminin pour simplement exister dans un espace professionnel – elle devrait être le fruit d’un environnement inclusif, où vos compétences parlent d’elles-mêmes.
« N’en faites pas trop, restez accessible »
Parfois, on vous félicite pour votre ambition, avant de vous glisser ce petit conseil : « Attention à ne pas faire peur ». Parce qu’une femme ambitieuse, ça dérange. Ça casse le moule. On la trouve « trop exigeante », « trop froide », « pas assez collaborative ». L’ambition féminine serait un excès, là où celle des hommes est une qualité.
C’est le syndrome bien connu du plafond de verre : vous pouvez viser haut, mais pas trop vite, pas trop fort, et surtout… pas toute seule. On préfère les femmes inspirantes, mais modestes. Déterminées, mais discrètes. Leaders, mais maternelles. Le funambule du leadership féminin ne doit jamais tituber, ni trop pencher du côté du pouvoir, ni de celui de la soumission.
« Évitez de montrer vos émotions au travail »
Pleurer au bureau ? Catastrophe. Se mettre en colère ? Inacceptable. Se montrer vulnérable ? Dangereux. Quand les émotions viennent d’une femme, elles sont souvent interprétées comme un signe de faiblesse, d’instabilité, voire d’incompétence. On vous conseille alors de vous « blinder », de « prendre du recul », de « ne pas trop vous laisser atteindre ».
Dans le même temps, un homme qui hausse le ton ou tape du poing sur la table sera vu comme « engagé », « droit dans ses bottes », « passionné ». Il peut s’énerver, s’émouvoir, montrer son stress, sans que cela ne nuise à sa crédibilité. Vous, en revanche, devez jouer la partition de l’équilibre émotionnel parfait – suffisamment humaine, mais jamais trop expressive.
« Soyez patiente, votre tour viendra »
Voilà sans doute l’un des conseils les plus insidieux. On vous dit que « ça viendra avec le temps », que vous êtes « prometteuse », qu’il faut « laisser les choses se faire ». Derrière ce discours se cache souvent une forme d’attentisme. On valorise votre loyauté, votre sens du collectif, votre endurance… pendant que d’autres saisissent les opportunités sans attendre.
Boston Consulting Group a d’ailleurs montré que les femmes, même très performantes, sont moins souvent identifiées comme des talents à fort potentiel. On les félicite, mais on ne les pousse pas. On les apprécie, mais on ne les promeut pas. Résultat ? Elles avancent, mais moins vite. Et parfois, finissent par douter que leur tour viendra vraiment.
Ces conseils, bien qu’ils puissent partir parfois d’une bonne intention, sont rarement neutres. Ils façonnent un monde du travail où les femmes doivent s’adapter à des normes établies… Or, il est peut-être temps de ne plus chercher à « bien jouer le jeu » – mais à changer les règles. Et si, au lieu de dire aux femmes d’être « moins ceci » ou « plus cela », on repensait collectivement nos modèles de réussite ? Si on valorisait les compétences, l’authenticité, l’intelligence émotionnelle – quelle que soit la personne qui les incarne ? Votre valeur ne réside pas dans votre capacité à coller à un moule, mais dans ce que vous apportez en étant pleinement vous-même. Et ça, c’est une force.