La crise du « quart de vie » : deux tiers des 25-33 ans touché·e·s

La vingtaine prend des airs d’eldorado. La chrysalide de l’adolescence explose pour laisser place à l’indépendance. Nos grands-parents regrettent cette période follement débordante et les jeunes de 15 ans, eux, frémissent d’impatience devant ce chiffre doré. Cet âge pivot, souvent considéré comme le Saint Graal de la liberté, rime aussi avec désillusions. Les rêves s’estompent, les projets s’envolent et l’angoisse s’installe sans crier gare.

Cette image caricaturale de la décennie idyllique se transforme en un vulgaire schéma brouillon. Déceptions, injonctions, pressions… les jeunes adultes sombrent alors silencieusement dans un profond mal-être. Les spécialistes parlent de crise du « quart de vie ». Cette phase brumeuse viendrait s’immiscer dans le quotidien de deux tiers des 25-33 ans. Avec la crise sanitaire actuelle en toile de fond, ce phénomène alarmant se généralise. 

La pandémie, un frein à tous les projets

Au cœur des postes de télévision, les médias d’information diffusent en boucle des données moroses. Depuis plus d’un an, le même scénario catastrophique se répète. Chaque nouvelle vague retentit comme un tsunami et toutes les générations font face à de multiples impasses. D’un côté, les seniors sont emprisonné·e·s dans leur maison de retraite. De l’autre, les jeunes sont à bout de souffle. Cette crise sanitaire interminable a affecté leur santé mentale. Entre le manque de liens sociaux, l’absence d’opportunités professionnelles et les emplois saisonniers qui s’éclipsent, les jeunes adultes sont complètement désarçonnés. Noyé·e·s dans un flot d’incertitudes, il·elle·s se détachent des chaînes de l’espoir.

Privée de sorties et de divertissements, cette frange de la population vogue de déceptions en frustrations. Les cœurs ne sont plus en fête. D’après une enquête Ipsos, un peu plus d’1 jeune sur 5 de moins de 25 ans rapporte des symptômes de troubles dépressifs modérément sévères ou sévères (21 %). La tranche des 22-24 ans qui se retrouve souvent plus isolée, hors du cocon familial, est encore plus touchée que les autres (24 %, presque 1 individu sur 4). Des idées noires se chamboulent dans ces esprits vulnérables et la fatigue se cristallise de jour en jour.

Quitter l’adolescence pour plonger dans ce monde tourmenté peut s’avérer brutal. Edith Piaf chantait « Je vois la vie en rose », mais la Génération Z, elle, broie du noir. Apologie de la réussite, univers scolaire impitoyable, précarité… une nouvelle vie au goût amer se profile. Devant toutes ces ondes négatives, le cerveau déclenche l’alerte et la crise existentielle s’amorce.

Un destin au goût amer ?

La « crise de la vingtaine » a été mise en lumière par les écrivaines américaines Alexandra Robbins et Abby Wilner dans l’ouvrage « Quarterlife Crisis : The Unique Challenges of Life in Your Twenties ». Les deux femmes ont passé aux cribles toutes les facettes de cette période confuse. Selon elles, les personnes qui ont entre 21 et 29 ans seraient frappées de plein fouet. Une phase transitoire inquiétante saupoudrée d’une certaine pression sociale… ce mélange empoisonné est vivement refoulé.

Aux antipodes de la crise de la quarantaine qui émerge de façon radicale, la crise du quart de vie germe en silence. Cependant, sur le long terme, elle s’avère beaucoup plus dévastatrice. D’après les travaux du psychologue Oliver Robinson, professeur à l’Université de Greenwich, 70 % des Britanniques entre 25 et 33 ans auraient vécu cette crise. Aux Etats-Unis, près de la moitié des vingtenaires confient l’avoir traversée, révèle une enquête de l’institut The Harris Poll. Partagé·e·s entre insatisfactions, quête de soi, remises en question et culpabilité… les jeunes adultes franchissent les échelons à reculons.

Un rythme de vie effréné et une pression accrue

Dans les abysses de notre société moderne, les obstacles sont nombreux avant de pouvoir toucher le sommet du confort. Cinq ou six décennies en arrière, l’accès au marché de l’emploi était plus simple, l’immobilier coûtait moins cher et la bienveillance régnait en maître. Les ancien·ne·s le répètent sans cesse : « C’était mieux avant ». Une chanson bien courante qui nous remémore les délices des années hippies. Mais le temps de l’insouciance est quasiment révolu. En effet, la proportion des 25-33 ans vivants cette crise est maintenant deux fois plus importante que dans la génération de leurs parents. Les jeunes gardent un héritage salé. Mondialisation croissante, réchauffement climatique, démocratisation de l’internet, émergence de l’Intelligence Artificielle… il·elle·s évoluent dans un milieu hostile et effrayant.

En parallèle, les réseaux sociaux alimentent un concours constant de popularité. Sur la toile, les paysages somptueux côtoient des corps photoshopés, autant de facettes biaisées qui accentuent cette impression d’échouer.  À l’approche de la trentaine, d’autres poids viennent s’ajouter à la balance. Avoir des enfants à tout prix, jouir d’une bonne posture financière, être propriétaire… ces injonctions restent affligeantes. Pas moins de 43 % des 25-33 ans disent ne pas être sûrs de savoir quoi faire de leur vie ou de leur carrière et 30 % d’entre eux estiment qu’ils n’ont pas assez voyagé au cours de leur vie.

Des avantages s’esquissent

Cependant, les spécialistes confirment que la crise du quart de vie présente aussi des aspects bénéfiques. Elle débouche sur un profond travail d’introspection. De quoi est-ce que j’ai envie ? Qu’est-ce qui me plaît vraiment ? Comment concrétiser les projets qui me tiennent à cœur ? Ces questions vertigineuses réveillent des désirs enfouis.

C’est durant la vingtaine que l’on prend le plus de risques. On se lance dans des aventures inattendues et on se heurte parfois à l’échec. Un célèbre dicton l’affirme : « L’homme apprend de ses erreurs ». Ne négligez pas votre mental et soyez indulgent avec vous-même. Ne bridez pas votre vrai visage et faites vibrer vos souhaits les plus chers.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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