Enfants de femme battue : quel suivi pour ces victimes collatérales ?

Chaque année, 213 000 femmes subissent des violences physiques ou sexuelles de leur conjoint ou ex-conjoint, parfois sous les yeux crédules de leur enfant. Entre les murs du foyer, les enfants assistent, impuissant.e.s, à la descente aux enfers de leur maman. Certain.e.s sont même témoins du coup fatal, celui qui brise des vies entières et laisse des orphelin.e.s sans mère. Mais les enfants de femme battue sont rarement évoqué.e.s dans les gros titres. Grand.e.s oublié.e.s de ce fléau de société, iels doivent pourtant avancer avec des images insoutenables et des traumatismes indélébiles. Leurs blessures ne sont pas forcément visibles à l’œil, mais elles les torturent de l’intérieur. Alors qu’advient-il à ces enfants, qui ont vu la mort en face et enduré.e cette violence inouïe ? 

Enfants de femme battue : de lourdes séquelles

Pour certain.e.s enfants, les monstres ne se cachent pas sous les lits ou dans les armoires. Ils errent dans la maison, le poing serré et la voix menaçante. La créature qui alimente leur pire cauchemar n’a pas trois yeux, des dents acérées et des bras velus : elle a le physique de leur père, bourreau parmi d’autres. Entre 2010 et 2015, 143 000 enfants vivaient dans un foyer rongé par les violences conjugales. La maison, censée être un refuge réconfortant, se mue alors en cage géante, sans issue de secours. Ces enfants, victimes d’un drame tristement « banalisé » grandissent dans un climat de terreur.

Les cris d’effroi de leurs mères remplacent les berceuses mélodieuses du bas âge. Au moment du repas, les assiettes volent et se fracassent sur le sol au lieu de se remplir de bons plats faits avec amour. Et à l’heure des retrouvailles au retour du boulot, les gifles cèdent leur place au câlin affectueux. L’image lisse de la petite famille rêvée part en lambeau. Malgré leur jeune âge, les enfants de femme battue perçoivent la vérité derrière ces portes, devenues des boucliers. Insouciance ne rime pas toujours avec ignorance.

Ces coups, infligés à leur mère, ont l’impact d’une balle à bout portant sur elleux. Iels ont une déflagration psychologique qui balaye tout sur son passage : l’innocence, la joie et le sentiment de sécurité. Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de Bobigny, évoquait même des traumatismes semblables à ceux tirés des scènes de guerre ou de terrorisme. Les enfants de femme battue gardent des plaies profondes, qui ne se soignent malheureusement pas à revers de mercurochrome.

Plus exposé.e.s aux problèmes de santé

Ces enfants, qui impriment les images atroces d’une mère ensanglantée, recouverte de bleus et ivre de douleur, somatisent. Leur souffrance est diffuse et se propage aux quatre coins de leur petit corps. Allergies, retard de croissance, troubles ORL et dermatologiques, maux de tête ou de ventre, troubles du sommeil ou de l’alimentation… la liste des symptômes est interminable. Les enfants de femme battue, silencieux.ses, mais fragiles comme de la porcelaine, subissent aussi 8 fois plus d’interventions chirurgicales. Cette barbarie, endurée à domicile, à travers une serrure ou sous une table basse, déteint sérieusement sur le comportement des enfants.

Ces bambin.e.s, qui ont grandi avec les mains sur les oreilles et les yeux rentrés dans les bras, sont souvent accusé.e.s d’être « turbulents » et « capricieux ». Ils fuient l’école, angoissent à l’idée de quitter leur mère, ne tiennent pas en place, sont irritables et présentent des difficultés à se concentrer. Toutes leurs pensées sont monopolisées par ces ignobles flashbacks. Selon les enquêtes, iels sont 10 à 17 fois plus sujets aux troubles du comportement que les enfants qui ont évolué dans un foyer « sain ».

Un suivi psychologique recommandé, mais pas obligatoire

Les enfants de femme battue sont trop souvent éclipsé.e.s des affaires de violences conjugales. Dans la presse, iels sont absent.e.s des paragraphes. Pourtant, dans les faits, iels sont les spectateur.rice.s de ces scènes d’horreur où leur mère est réduite en vulgaire sac de frappe. Le 20 mai dernier, un homme de 45 ans comparaissait devant la cour d’assises du Bas-Rhin, accusé d’avoir étranglé à mort son ex-compagne devant ses enfants en décembre 2020. Dans cette sordide histoire, les enfants alors âgé.e.s de moins de 10 ans, ont vu leur père, féroce, voler le dernier souffle de leur mère. Considéré.e.s comme des témoins plus que des victimes, iels ont dû se plier à la rude tâche de l’interrogatoire et décrire la scène, encore et encore.

Mais leur parole est-elle recueillie ailleurs que derrière les murs des commissariats ? Ces enfants de femme battue, sont-iels suffisamment pris en charge ? Après avoir livré leur témoignage auprès des officiers, les enfants peuvent faire un crochet par la cellule « psychologique » du commissariat. Ensuite, c’est un.e professionnel.le de santé en libéral ou un.e psychiatre de centre médico-psycho-pédagogique qui reprend le suivi. Il existe également quelques dispositifs à échelle locale, comme celui de l’hôpital Robert Ballanger à Aulnay-sous-Bois.

Une unité spéciale femme-enfant a été créée pour aider les victimes à se reconstruire. L’association Solfa, elle aussi, œuvre pour accompagner à 360° les femmes victimes de violence conjugale et leurs enfants, assiégé.e.s par le stress post-traumatique. Elle agit dans tous les domaines : socio-professionnel, logement, psychologique, accès aux soins, administratif… Mais elle se centralise sur la région Haut de France. Or, ce fléau gangrène tout l’Hexagone, y compris les villes reculées de campagne. En plus, les thérapies à destination des enfants rescapé.e.s de violences conjugales ne sont pas imposées, elles sont facultatives.

Retrait de l’autorité parentale : et après ?

Vivre sous le même toit qu’un père tortionnaire, qui tape comme il respire, relève de la folie pure. Pourtant, encore en 2019, le retrait de l’autorité parentale n’était pas systématique en cas de violences conjugales. Selon une enquête, 72,6 % des mères d’enfants mineurs obtenant une ordonnance de protection étaient contraintes de partager leur autorité parentale avec le conjoint violent. Mais depuis le Grenelle contre les violences conjugales et la loi pour la protection des mineur.e.s de mars 2024, les textes juridiques se sont un peu durcis.

En revanche, il faut en arriver au pire pour que le père soit destitué de son statut parental. C’est seulement dans le cas d’un crime commis sur l’autre parent que cette loi s’applique. Soit quand le bourreau en vient à l’irréparable et prive éternellement les enfants des bras tendres de leur maman. Les enfants sont alors placé.e.s dans la famille proche, ou dans une famille d’accueil si les personnes de l’entourage ne sont pas en capacité de prendre ce rôle. Une double peine pour les enfants de femme battue, qui se retrouvent déracinés et séparés les un.e.s des autres.

Les enfants de femme battue sont des victimes incomprises, laissées en marge des projets de loi et des autres mesures. Résultat : iels entrent dans l’âge adulte avec des cicatrices à vif et un profond sentiment d’abandon. 50 % des jeunes délinquant.e.s ont vécu dans un milieu familial violent dans l’enfance. Et iels ont des circonstances atténuantes…

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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