La cagole marseillaise est plus féministe que vous le croyez, voici pourquoi

La cagole marseillaise fait partie du décor de la Cité Phocéenne. Impossible de la rater, elle fait tout pour être visible quand elle sort. Teint façonné à l’auto-bronzant qui tire sur le orange, crayon sur les lèvres, créoles XXL, tenue à base de léopard et de couleur fluo… cette grande figure de la Canebière est l’incarnation même du mot « too much ». Elle parle fort avec un accent bien appuyé, elle s’habille avec des vêtements ultra moulants qui jurent entre eux et arbore un maquillage exubérant, digne d’une main de Picasso. La cagole marseillaise est toujours dans l’excès, le « m’as-tu vu ». Mais derrière le personnage caricatural et les couches de fond de teint se cachent aussi des revendications assez actuelles. La cagole marseillaise est d’ailleurs plus féministe qu’elle en a l’air…

Comment est née la cagole marseillaise ?

La cagole marseillaise est un emblème de la capitale « Sud » de la France, au même titre que le vieux port. Elle sillonne les rues pavées de Marseille du haut de ses chaussures à plateforme et se plaît à abuser des artifices. À son évocation, tout le monde a la même image qui se plante dans les yeux. Une femme au make-up outrancier, qui porte une ribambelle de bijoux oversize et qui ose le duo choc entre le motif animalier et les strass. Une partisane des vêtements moulants, qui laissent apparaître son piercing au nombril et ses tatouages kitsch dispersés sur les parties les plus sensuelles de son corps. La cagole marseillaise est souvent moquée pour sa dégaine extravagante qui dénote avec le « bon goût ».

D’ailleurs, le mot « cagole », en lui-même, n’est pas vraiment élogieux. Issu du dialecte provençal, il a une double signification. Il tient sa racine de « cagoulo ». Ce terme fait référence au tablier que portaient les ouvrières des usines de dattes marseillaises au XIXe siècle. En parallèle de leur métier, certaines d’entre elles vendaient leur corps pour se faire un petit pécule. Mais « cagole » trouve aussi des échos avec « cagar », un mot local plutôt familier pour dire « déféquer ». À la base des bases, le qualificatif « cagole » a donc une connotation « péjorative ».

Entre les pages du Petit Robert, une cagole est « une jeune fille ou une jeune femme qui affiche une féminité provocante et vulgaire« . Mais justement, la cagole en joue de cette définition médiocre. Elle s’en empare avec insolence. Elle fait de cette vulgarité, un élément fondamental de son identité et pousse ce trait à l’extrême. En apparence, la cagole marseillaise semble à l’opposé polaire de la féministe. Pourtant, elle torture ce stéréotype de la femme discrète, douce et soignée. Cette opulence dissimule une volonté d’exister et de se rebeller.

Une femme libre qui s’assume de la tête aux pieds

Tandis que la plupart des femmes sélectionnent rigoureusement leur tenue, en prenant le soin d’assortir les couleurs, la cagole marseillaise se hisse dans des looks improbables qui feraient bondir Cristina Cordula. Elle est tout l’inverse de ce que la société exige d’une femme « convenable ». Elle est l’antithèse même du style de la « Parisienne », avec son blazer ajusté et ses petites ballerines griffées. Son apparence est souvent jugée, mais ça lui passe au-dessus. Alors elle revêt collier massif estampillé « Love » autour du cou, liner néon sur les yeux, robe scintillante en matière cheap et nail art bariolé.

La cagole marseillaise s’apprête pour elle, pas pour les autres. Parfois campée par des stars de la téléréalité, elle revendique sa nature superficielle et incarne aussi cette liberté d’être soi. Si la cagole marseillaise est régulièrement accusée d’en faire des tonnes, c’est une féministe dans l’âme. C’est une femme qui piétine les diktats à gros coups de talon aiguille. Elle sait ce qu’elle veut et froisse l’image toute « lisse » de la femme idéale. Dans un monde où les femmes sont souvent limitées par des standards de discrétion et de modestie, la cagole choisit de se montrer telle qu’elle est, en pleine lumière.

Une figure hybride qui conjugue le féminin et le masculin

De l’extérieur, la cagole marseillaise a peut-être une allure douteuse, presque carnavalesque, mais elle se pomponne et prend soin d’elle. Elle épouse son hyperféminité. Cependant, à travers son comportement et sa manière d’être, elle calque aussi les attitudes masculines. Elle se pavane en rose fuchsia et ne sort jamais sans ses échasses de 13 cm mais à côté de ça, elle parle fort et excelle dans l’art du « rentre-dedans ». Elle n’hésite pas à occuper l’espace public quand d’autres baisseraient la tête et changeraient de trottoir. La cagole est à mi-chemin entre la racaille et la Barbie. Elle transcende les frontières traditionnelles de genre. Et c’est justement ce qui dérange.

Pas assez classe pour être une « femme » et pas assez de matière dans la culotte pour être un « homme »… Elle entend ce refrain à longueur de journée. Mais ça ne l’atteint pas. La cagole est sexy et virile à la fois, séduisante et beauf, coquette et crue. Elle n’entre dans aucune case et va même jusqu’à les faire exploser, en veillant toujours à garder ses ongles démesurés intacts. La cagole marseillaise est féministe malgré elle puisqu’elle laisse les normes au placard, tout comme la chemise blanche et le jean droit.

La cagole marseillaise, une féministe qui prend sa place

Même si la cagole marseillaise ne se reconnaît pas forcément dans le portrait de la féministe, elle en impose sur le bitume. Partout où elle passe, elle laisse sa trace. Elle intimide par sa simple présence. À l’aube des années 2000, quatre amies ont lancé « Les cagoles de l’OM », un groupe de supporters pour encourager le club de foot phare de la ville. Le titre de cagole leur a donné plus d’aplomb pour investir un milieu dominé par des hommes. Au lieu de les décrédibiliser, ça leur a conféré une sorte de légitimité. C’était leur sésame pour intégrer l’univers masculin du ballon rond. Comme quoi, le terme « cagole » a aussi du poids.

D’ailleurs, la cagole commence à remonter dans les estimes du grand public. Elle n’attire plus seulement les railleries ou le mépris, mais elle suscite désormais de la fascination et du respect. Rôle modèle un peu « à part », elle investit même les rangs hypés de la mode. En 2021, Balenciaga a imaginé un sac à main en son honneur, sobrement nommé « La Cagole ». Son make-up, lui aussi, s’imprime également sur d’autres visages, en version un peu plus « sophistiquée ». « Cagole » n’est plus une insulte ou un mot dégradant, c’est une étiquette honorable qui induit femme indépendante, sans complexe et culottée.

La cagole marseillaise est une féministe de terrain. Elle n’en a peut-être pas conscience personnellement, mais elle bouscule la société et vit ses convictions au quotidien. Elle est résolument inspirante.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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