Les femmes et le skate : une voie vers l’émancipation ?

Pendant longtemps, le skate était pratiqué par la gent masculine, privilégiée jusqu’au bout des pieds. Mais désormais, les femmes chaussent aussi la planche à roulettes pour aplatir les clichés et prendre leur revanche par l’art de la glisse. Même si elles sont encore en nombre inférieur dans les skateparks, elles sont bien décidées à conjuguer ce loisir urbain au féminin. Pour elles, ce skateboard qu’elles chahutent n’est pas seulement un moyen de transport stylé ou un petit dérivatif, c’est également un instrument militant et émancipateur. Les femmes se familiarisent avec le skate pour s’imposer sur le bitume et se faire une place plus noble dans l’espace public. Cette discipline intrépide, inscrite dans les épreuves des JO 2024, est le nouvel Eldorado des femmes.

Les femmes et le skate, tout un symbole

Dans les rues, les femmes déambulent à dos de skate, capuche sur la tête et cheveux au vent. En osmose avec leur planche, elles foncent à toute vitesse, avec la mine fière et le visage éclairé. Une image qui aurait suscité l’indignation quelques années en arrière. Les femmes auraient été invitées à redescendre sur la terre ferme et à laisser leur fidèle acolyte à roulettes aux riders « chevronnés ». Il faut dire que le skate était surtout une affaire d’hommes à l’époque.

Né dans les années 1950, sous l’éclat de génie des surfeurs d’Hawaï et de Californie, le skate se vante comme une extension « terrestre » du surf. Tout le mobilier extérieur mue alors en piste acrobatique. Par sa nature « casse cou » et « dangereuse », le skate marginalise d’office les femmes, alors prisonnières de cette injonction à la douceur et à la docilité. À travers le skate, les hommes ont encore le pouvoir greffé sous les baskets tandis que les femmes doivent rester sagement fixées sur leur chaise de « bonne écolière ».

Avec tous ces sous-entendus médiocres, le skate évoque le portrait d’un bad boy en baggy, avec sa casquette NY à l’envers vissée sur le crâne. Pour remanier ce tableau brossé à grand renfort de stéréotypes, les femmes prennent d’assaut l’univers du skate et sautent les obstacles « invisibles » qui se tiennent devant elles. En investissant les modules des skateparks, les femmes ne font pas seulement de la provocation, elles prouvent qu’elles sont « capables », au même titre que leurs homologues.

Elles roulent sur cette caricature de la femme fragile, hermétique à la prise de risque et défendent l’idée de la femme indépendante et rebelle. Même si aujourd’hui, elles ne représentent qu’un quart des pratiquant.e.s, leur irruption sur les tremplins incurvés est particulièrement stimulante.

Le skate au féminin : entre sororité et liberté

Les femmes n’enfourchent pas leur skate pour défier leurs compères masculins ou s’adonner à une battle d’acrobaties. Elles sautent dessus pour acquérir un sentiment de liberté et se sentir légitime de jouer avec les lois de la gravité. Le skate est un sport de funambule. Il nécessite équilibre, adresse et confiance en ses gestes. Alors, en plus de s’approprier un objet à forte connotation underground et masculiniste, les femmes battent le pavé dans une posture « affirmative », avec une énergie inédite. Le fait d’épouser du bout de la semelle un accessoire, longtemps resté le propre des hommes, est une forme d’activisme pacifiste. C’est du soft power à l’état pur.

D’ailleurs, des communautés de rideuses fleurissent un peu partout dans le monde, faisant du skate un trait d’union, une arme d’égalité à quatre roues. En France, les collectifs Realaxe, Swirl ou encore SkateHer proposent aux femmes de faire des tricks ou de switcher sur le spine sans se sentir en « intrus ». Comme le dit la citation « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Avec cette approche fédératrice qui fait crisser le « girl power », les femmes mutualisent leur force pour enfin prendre leurs aises dans des skateparks bondés de mecs.

Les femmes saisissent leur skate à l’unisson pour avoir plus d’aplomb et s’affranchir de cet invasif syndrome de l’imposteur. Elles se retrouvent en bande, au cœur d’une belle sororité, prêtes à passer la rampe. Ensemble, elles profitent d’une certaine immunité collective et d’une insensibilité au « quand dira-t-on ». Certains skateparks associatifs dont LePetit à Toulouse ont d’ailleurs des plages horaires entièrement réservées aux femmes. Loin de vouloir déloger ces messieurs, les femmes cherchent simplement à exister, en faisant frémir leur skate.

Une façon de reconquérir l’espace public

Ce n’est pas un scoop : l’espace public est pensé par les hommes et pour les hommes. Il suffit de lever le nez pour constater les faits. Comme l’expose le rapport « Femmes et Espace Public » du Centre Hubertine Auclert, l’urbanisme tout entier est défavorable aux femmes. Entre les toilettes publiques disparates, les cryptogrammes de sexe masculin et l’absence criante de rues à l’effigie des femmes, l’espace public semble s’adresser exclusivement à la gent masculine.

Une réalité qui concerne également les équipements sportifs en plein air, monopolisés entre 85 % et 99 % par des hommes. Comme dans la cour de récréation pendant l’enfance, les hommes ne laissent qu’un ridicule bout de terrain aux femmes en « lot de consolation ». Les femmes en skate, en roller ou perchées sur un autre véhicule à roues, ont aussi cette ambition d’occuper plus fermement ces espaces, encore sous le joug du patriarcat. Dans la continuité des manifestations féministes, le skate est une opération militante, feutrée sous le signe du divertissement. Les femmes qui flirtent avec leur skate souhaitent aussi s’ancrer dans le paysage urbain et clore cette tyrannie du chibre.

Les femmes et le skate : en route vers la parité

Si la plupart des femmes embrassent la pratique du skate pour le plaisir et l’esprit solidaire qui s’en dégage, d’autres prennent la discipline plus au sérieux. Certaines le pratiquent à un niveau « olympique » et s’attèlent à démocratiser le skateboard féminin au-delà des terrains de jeu à ciel ouvert. C’est le cas notamment de Nishiya Momiji, qui a décroché la médaille d’or aux JO de Tokyo en 2020, à seulement 13 ans.

Leticia Bufoni, elle aussi, a amené le skateboard féminin aux portes des plus hautes distinctions du sport. Première skateuse chez Nike et couronnée cinq fois de la médaille d’or aux X-Games, elle est décrite comme l’une des femmes les plus puissantes du sport international dans les colonnes de Forbes. Sky Brown, jeune prodige du skateboard, est également en très bonne posture pour les JO 2024. Médaillée olympique à 13 ans et championne du monde à 14, elle n’a plus besoin de démontrer son talent. Cependant, si les femmes s’imposent dans les hautes sphères du skateboard, celles qui en font un loisir sont encore minoritaires.

Les femmes s’emparent du skate comme un énième objet de lutte. Elles s’y frottent, non pas pour rivaliser avec leurs homologues, mais pour slalomer entre les vieux clichés et dévaler sur les interdits.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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