Dépeinte comme un moment historique, l’inscription de l’IVG dans la Constitution a été saluée par les associations féministes. Officialisée le 4 mars, elle a été applaudie par toutes les générations. Plus qu’une avancée nationale, cette décision est un espoir pour les femmes du monde entier. Alors que la liberté d’avorter est de plus en plus menacée hors des frontières, la France l’a immortalisée entre les lignes d’un texte fondamental. Cependant, il ne faut pas crier victoire trop vite. L’entrée de l’IVG dans la Constitution est un pas en avant, mais il reste encore bien des obstacles à abaisser. Cette bataille ne se joue pas seulement sur le papier, mais aussi sur le terrain et les failles sont profondes. En ce 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, voici pourquoi la constitutionnalisation de l’IVG est un progrès mitigé.
IVG dans la Constitution, une avancée symbolique plus qu’une victoire
« Pour ma grand-mère et ses sœurs », « mon corps, mon choix », « l’IVG c’est sacré »… Sur la place du Trocadéro, ces slogans greffés sur des pancartes en carton et brandis dans une foule opaque révèlent toute l’importance de cette décision juridique d’envergure. Scotchées devant un écran géant qui retransmet en direct les débats à Versailles, les femmes attendent que l’IVG soit définitivement inscrite dans la Constitution. Le lundi 4 mars, à 18h passé, c’est enfin acté par le Parlement. Les femmes s’enlacent face à une Tour Eiffel étincelante et tapent dans leur main en signe de reconnaissance. Une image qui aura certainement sa place dans les futurs manuels d’histoire.
Plus qu’un soulagement, c’est un message positif pour l’avenir, une fierté collective. La France est d’ailleurs le premier pays du globe à graver l’IVG dans la Constitution et, par ricochet, à la rendre « intouchable ». Cependant, même s’il s’agit d’une prise de position forte, les associations féministes ne se réjouissent pas sur tous les points. Elles fustigent notamment l’interversion du terme « droit » contre celui de « liberté » et ça change toute la teneur du texte.
Impulsée, en partie, par les acteur.ice.s de la droite, elle est moins significative et impactante que l’énoncé initial. En préférant le mot « liberté », l’État ne s’engage pas à « garantir un accès à l’IVG simplifié ». En résumé, les personnes qui veulent interrompre leur grossesse peuvent le faire, mais elles ne doivent rien attendre en retour de la part de l’État. Qu’elles aient à parcourir des kilomètres pour trouver un centre ou vendre leurs bijoux de famille pour dégager des financements, ce n’est plus le « problème » de l’État. Les spécialistes juridiques, eux, tempèrent cette notion de « liberté ». Iels précisent qu’elle est plutôt en faveur des femmes, alors « libres » de disposer de leur corps.
En parallèle, des centres ferment et l’accès à l’IVG se réduit
L’inscription de l’IVG dans la Constitution est « idéalisée », à tort. Pourtant, ce papier n’a hélas pas de pouvoir magique. Il n’efface pas tous les problèmes latents qui persistent dans la réalité. La prudence a donc rapidement succédé à l’emballement général. Ce texte éclipse les difficultés auxquelles sont exposées les personnes ayant recours à l’IVG dans la vraie vie et ne tend pas à les résorber. C’est une décision de surface et non de fond. Il faut aussi noter que la législation peut « évoluer » et « ajuster » les conditions d’accès à l’IVG.
Or, en pratique, se faire avorter est loin d’être une « formalité ». C’est un parcours souvent ponctué d’embûches. En fonction du département dans lequel on vit, l’accès à l’avortement est parfois limité. Alors que le « compte à rebours » est lancé et que le tic-tac s’accroche aux ventres, les femmes sont invitées à patienter. Selon la région, les délais d’attente peuvent aller jusqu’à huit jours d’après une étude publiée en septembre 2019 par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS).
Dans certains cas, il faut faire plusieurs heures de route pour trouver une structure adaptée qui n’est pas saturée. Quelques départements comme la Haute-Saône sont très pauvres en centres dédiés à l’IVG, ce qui obstrue les chances de se faire avorter « à temps ». De plus, selon le recensement du Planning familial, 130 établissements de ce genre ont fermé leur porte en 15 ans. Si cette liberté d’avoir recours à l’IVG est désormais taillée dans la Constitution, paradoxalement, elle est enveloppée de contraintes. Elle demande toujours un effort personnel « anormal ».
Les hommes trans ne sont toujours pas mentionnés
Cette inscription de l’IVG dans la Constitution occulte également une frange de la population et s’adresse « uniquement » aux femmes cis. L’alinéa à l’article 34 l’affirme lui-même. « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». De ce fait, les hommes trans et non binaires ne sont pas compris dedans, ce qui les marginalise un peu plus du système de santé.
Même si le Conseil d’État a tenu à rassurer ces « oubliés de l’IVG », les associations, elles sont un peu plus partagées. Elles craignent que cette promesse d’inclusivité ne soit pas respectée, voire bafouée. SOS homophobie et OUTrans ont d’ailleurs rédigé un communiqué à l’unisson pour appeler à « considérer » les minorités dans ce pacte social.
« La liberté de recourir à l’IVG doit s’entendre comme étant garantie à ‘toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil’ », peut-on lire
Les hommes transgenres sont encore tristement « malmenés » dans les arbitrages juridiques. En 2022, les Sages du Conseil constitutionnel avaient d’ailleurs largement réfréné leur désir de parentalité en les excluant du droit à la PMA. Sans parler de la campagne du planning familial à l’effigie d’un « homme enceint ». Elle avait fait bondir la droite, désormais en nombre supérieur au Parlement.
La question de la clause de conscience demeure
Après l’entrée de l’IVG dans la Constitution, les débats s’animent autour de la clause de conscience, encore valable chez les médecins. Un autre chantier s’esquisse alors en filigrane. Sans surprise, c’est la gauche qui porte ce combat et plus particulièrement Manuel Bompard, le coordinateur des insoumis. Il souhaite revoir ce droit qui permet aux praticien.ne.s de refuser l’avortement, pour des « raisons professionnelles ou personnelles ». Finalement, cette réclamation va de pair avec l’inscription de l’IVG dans la Constitution. Ce n’est qu’une suite logique de ce gros chapitre juridique.
Avec la double clause de conscience en arrière-plan, l’IVG est encore fragile et altérée. Certes, cette liberté figure noir sur blanc dans la Constitution. Mais les professionnel.le.s de santé peuvent toujours dire « non » en dégainant l’excuse des valeurs morales. Ainsi, une personne qui veut se faire avorter peut essuyer un refus, justifié par la religion ou les convictions. C’est cette clause, contraire à l’impartialité et à la distance médicale, que les associations féministes et les insoumis veulent dissoudre. Comme l’exprime le Planning familial sur son site, elle « pèse sur l’IVG [en participant] à une ‘moralisation’ indue de l’avortement ».
Si cette inscription de l’IVG dans la Constitution est vitale face à la montée en puissance des partis conservateurs, tout reste à faire. « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». Un précieux rappel signé Simone de Beauvoir, qui est plus que jamais de rigueur.