Misandre, mansplaining, adelphité… : petit lexique féministe pour mieux comprendre ce mouvement

La lutte féministe se vit à travers les actes, mais aussi au gré des locutions. Sororité, manterrupting, objectification… les termes s’étoffent à mesure du combat pour l’égalité. Qu’ils datent de l’ère de Simone Veil ou du monde post MeToo, ces mots résonnent fort dans les mégaphones et sur les pancartes en carton. Mais sans décodeur, ce langage militant corroboré d’anglicisme et de racines anciennes peut vite relever du charabia. Qu’importe si on a pris option Grec au lycée ou si on est au taquet dans la langue de Shakespeare.

Puisque tout le monde ne se balade pas avec un dictionnaire en bandoulière, voici donc un petit lexique féministe pour être incollable sur le sujet (et briller au Scrabble). De quoi ajouter une nouvelle LV3 bien utile à vos bagages. 

Adelphité

C’est un type de solidarité entre êtres humains qui s’étend au-delà des genres. C’est une sorte de compromis entre la fraternité et la sororité. Issu du grec, ce terme montant du lexique féministe désigne, à la base, des personnes nées de mêmes parents sans distinction de genre.

L’adelphité est plus neutre et engageante que la sororité dans le sens où elle englobe homme, femme et personne non-binaire. C’est la traduction la plus proche du mot « sibling » en anglais qui vaut pour « frère et soeur ». Globalement, l’adelphité convoque un sentiment d’appartenance universel. En 2018, le Haut conseil de l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) souhaitait même démocratiser la devise « Liberté, Égalité, Adelphité » pour plus de pertinence.

Backlash

Le mot « backlash » ressort en trombe dans les médias sans jamais vraiment être assorti d’une définition claire et précise. Notamment entendu à la suite de la répression anti-IVG aux États-Unis et au rythme du procès entre Amber Heard et Johnny Depp, le « backlash » désigne un « retour de bâton » misogyne. Il illustre le « revirement » que subissent les droits des femmes à chaque avancée pour l’égalité.

Même si ce terme semble tout « chaud », il ne date pourtant pas d’hier. Il a été théorisé dans les années 90 par la féministe américaine Susan Faludi qui constate alors que le moindre progrès en faveur des femmes est toujours bafoué par des retombées réactionnaires et masculinistes. En bref, dès que le droit des femmes progresse, même un minimum, une meute de conservateurs rapplique pour les faire reculer. Tout un stratagème.

Objectification

Aussi connu sous le nom de « male gaze« , l’objectification aborde la femme sous le prisme « masculin », de façon assez limitée et dégradante. Surtout évoqué dans la pop culture, l’objectification désigne le regard pesant, médiocre et malsain que portent les réalisateurs cis sur le corps des femmes. À travers leurs œuvres, ils en font l’objet de tous les désirs et de tous les fantasmes.

Une vision tournée sur le physique qui maintient l’idée de la « femme objet », vouée à être sexualisée de la tête aux pieds. Le corps de la femme y est poussé comme un argument de vente. Ne serait-ce que dans les publicités de glace, les femmes dévorent leur cornet de manière très sensuelle et érotique.

Gaslighting

Il est temps de réviser un peu son anglais. La plupart des termes du lexique féministe trouvent une origine anglo-saxonne alors mieux vaut avoir quelques restes. Le mot « gaslighting », lui, puise sa source dans « Gaslight », un vieux film des années 40. Celui-ci jette à l’écran des scènes d’abus émotionnel et de manipulations criantes. Un mari tente de faire passer sa femme pour folle en allumant puis éteignant lentement les lampes à gaz. Une supercherie savamment organisée pour la faire interner et mettre la main sur son héritage.

C’est toute la teneur du « gaslighting ». Une technique de manipulation pour décrédibiliser femmes ou minorités de genre et ainsi assourdir leur parole. Selon les spécialistes, c’est un type de violences psychologiques sournois. Exemple simple : une femme se plaint d’attouchements, ses homologues masculins la traitent de « parano ».

Manterrupting

Dans la même idée, le « manterrupting » vise aussi à mettre les femmes en sourdine. Il suffit d’écouter les débats politiques pour saisir le caractère « dégradant » de cette pratique. En 2016, pendant le troisième débat de la primaire de la droite, Nathalie Kosciusko-Morizet a été coupée 27 fois alors que ses rivaux Alain Juppé, François Fillon et Nicolas Sarkozy entre 9 et 12 fois, selon l’analyse millimétrée de Buzzfeed.

Surtout employé dans le milieu professionnel, le « manterrupting » désigne cette tendance qu’ont les hommes à toujours interrompre leurs comparses féminines pendant leur discours. Cette attitude dédaigneuse purement retranche les femmes dans le silence et les dépossède de leur « pouvoir » d’expression.

Mansplaining

Autre terme qui jalonne le lexique féministe : le « mansplaining ». Il fait encore partie du vaste package sexiste. À travers ce comportement hautain et insolent, les hommes se hissent en être « supérieur », doués de la fameuse science infuse. Ce terme définit la façon dont certains hommes dévalorisent et discréditent les savoirs d’une femme en lui expliquant des sujets, pourtant évidents.

Exemple le plus probant : un homme donne des leçons sur le harcèlement de rue ou sur les règles à ses collègues féminines. Une aberration totale qui montre à quel point la fierté masculine peut monter à la tête.

Manslamming

Moins connu que ses autres frères linguistiques, mais tout aussi révélateurs, le « manslamming » illustre la présence imposante, intimidante et parfois agressive des hommes dans l’espace public. Il a été popularisé en 2015 par la féministe Beth Breslaw. Selon ses expériences personnelles, les hommes prennent trop de place sur le trottoir et ne se gênent pas pour montrer leur règne sur le bitume.

En plus de faire des remarques non sollicitées et d’enchaîner les dragues lourdes, les hommes bousculeraient les femmes sur le trottoir en vue de les « déstabiliser ». Une théorie que la journaliste américaine Katherine Timpf a voulu tempérer, preuves à l’appui. En marchant pendant une heure dans des rues bondées, elle s’est fait bousculer par 66 femmes contre 23 hommes. De quoi ajuster ce nouveau venu du lexique féministe.

Misandre

Ce terme, repris à tort et à travers par les principaux opposants du féminisme, désigne le fait de rejeter ou dans la plus extrême des formes de haïr les hommes. Contrairement à la misogynie, plus radicale et préjudiciable, la misandrie traduit surtout une méfiance extrême à l’égard des comportements masculins.

N’oublions pas que la misogynie est au cœur d’un des plus grands génocides, adoucis sous le nom de « chasse aux sorcières« . La misandrie, elle, relève plus d’un mépris « intelligent ». Elle encourage à valoriser les femmes dans toutes les sphères, sans pour autant « sous-estimer » les hommes. Elle donne lieu à des actes raisonnés et raisonnables. Mais les détracteurs s’en servent à mauvais escient pour se « victimiser » et entacher le féminisme.

Misogynoir

Ce nom du lexique féministe est assez évocateur. C’est la contraction de « misogynie » et « noir ». Un mot sobre qui illustre comment le racisme s’infuse dans le sexisme. C’est une double discrimination endurée uniquement par les femmes noires.

Inventé en 2008 par la chercheuse féministe afro-américaine Moyan Bailey le terme « mysoginoir » fait écho à l’aversion encore plus accrue envers les femmes noires. Elle l’explique elle-même : « Le terme est utilisé pour décrire les façons uniques dont les femmes noires sont marginalisées dans la culture populaire”.

Slutshaming

Une femme qui se promène avec une jupe courte ou un haut qui laisse deviner ses tétons sera quasi toujours étiquetée « aguicheuse » ou « fille facile ». Une pensée très courante appelée « slutshaming » dans le jargon féministe. Cette pratique à la fois liberticide et insultante vise à culpabiliser, humilier ou disqualifier toutes les femmes dont l’apparence serait jugée « vulgaire » ou « provocante ».

Par exemple, si une femme débarque dans un bar avec un débardeur décolleté et un pantalon très moulant, cette tenue sera perçue comme une tactique de séduction induisant « je suis open ». Le slutshaming est indissociable de la culture du viol. Il intervient de manière plus insidieuse pendant les dépôts de plainte avec des questions tournées sur la tenue de la victime.

Sororité

Un autre cri de ralliement du lexique féministe : la sororité. Ce terme, omniprésent sur les collages et dans les cortèges violacés, est l’étendard de la solidarité féminine. En opposition à la fraternité, la sororité désigne une harmonie au féminin. Elle s’exprime aussi bien dans des soutiens palpables que dans des élans d’empathie. Par exemple, une jeune femme se fait importuner dans les transports en commun. Par sororité, une autre viendra à son secours en tentant de faire diversion.

Comme l’expose Chloé Delaume dans son ouvrage collectif Sororité, c’est « une relation horizontale, sans hiérarchie ni droit d’aînesse. Un rapport de femme à femme, ni fille ni mère (…) ». La sororité fédère les femmes autour de valeurs fortes telles que la bienveillance, l’écoute mutuelle et l’entraide. Elle est aux antipodes de la rivalité féminine.

Avec ce petit lexique féministe en poche plus question de faire d’amalgame ou de s’emmêler les esprits. Cet abécédaire aux accents de révolte montre toute la richesse de ce mouvement salutaire. Au-delà de cette prose, le féminisme s’épanouit aussi dans des symboles forts et des tubes intergénérationnels. De quoi faire de ce combat sa langue maternelle.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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