Pourquoi le twerk est autant diabolisé et considéré comme contraire au féminisme ?

Le twerk, danse lascive caractérisée par des hochements de fesses vigoureux et des roulements de bassin à en faire tourner la tête, rythme les clips des plus grandes queens de la pop. Rihanna, Beyoncé ou encore Cardi B ont fait de cette secousse sensuelle leur geste de ralliement. Pourtant, cette valse de l’arrière-train n’est pas au goût de tout le monde. Le twerk est souvent considéré comme une chorégraphie vulgaire et provocante. Lorsque les femmes font trembler leur hanche de gauche à droite, elles récoltent tout de suite l’étiquette de l’allumeuse ou de la fille facile. Mais le twerk, désormais pratiqué à l’unisson dans des cours particuliers, est hissé en acte d’acceptation de soi, au même titre que la pôle dance. Une bascule particulièrement symbolique qui rend le twerk hautement compatible avec le féminisme.

À l’origine, une danse militante issue des minorités

Si aujourd’hui le twerk est devenu le langage corporel favori de Nicki Minaj, de Beyoncé et de Rihanna, il n’est pas le fruit d’une chorégraphie aléatoire. Avant de tomber entre les jambes des grandes divas de la musique, le twerk est avant tout une signature culturelle. Il puise son inspiration dans les danses « traditionnelles » afro et s’apparente plus à une transe honorifique qu’à une insulte à la pudeur.

Le twerk est le résultat d’un profond métissage. Il trouve des échos dans le Mapuka, danse ivoirienne exécutée en l’honneur de la déesse de la fertilité, mais également dans le passé sombre de l’esclavage colonial. Les familles rescapées de la traite négrière et contraintes de migrer vers les États-Unis ont d’ailleurs gardé le twerk comme seule arme de défense identitaire.

C’est seulement dans les années 90 que le twerk devient « tout public » et connaît un certain engouement. Popularisé par le DJ Jubilee à travers la chanson « Do The Jubilee All », il est purement inoffensif et échappe encore aux esprits mal placés. Surtout formulé par la communauté LGBT+, le twerk assoit son statut de danse « expressive ». Faire le rouleau avec ses hanches c’est donc d’abord faire un exercice de « mémoire » et se sentir « exister ».

Le twerk, perverti par la culture du rap

Le caractère solennel du twerk s’est totalement perdu dans la cambrure de Miley Cyrus. Pour balayer l’image de l’innocente et chaste Hannah Montana, l’ex-actrice de Disney Channel n’a pas trouvé mieux que de faire claquer ses fesses sur Robin Thicke. Cette performance très « borderline » s’est tenue sur la scène des MTV Video Music Awards en 2013.

La chanteuse à la chevelure platine convertit alors cette danse ancestrale au lourd passif en un geste hypersexualisé et aguicheur. Mais elle n’est pas la seule à avoir entaché la pureté initiale de cette petite contorsion. Les rappeurs, eux aussi, ont utilisé le twerk à des fins plus odieuses et dégradantes. De Kendrick Lamar à Lil Nas X, les paroliers urbains s’entourent régulièrement d’innombrables paires de fesses dans leur clip. Des femmes, en tenue très légère, se courbent pour faire battre leur fesse en chœur.

Bien souvent, elles se révèlent dans une posture « inférieure » au rappeur et laissent leur corps à la portée de toutes les mains baladeuses. Dans cette perspective, le twerk est simplement un « prétexte » artistique pour réduire les femmes en soumission et les faire passer pour des bouts de viande.

Inévitablement, en reléguant le twerk à une vulgaire danse de strip-tease et en le transformant en une parade suggestive, les rappeurs ont éclipsé tout ce qu’il pouvait avoir de bon. Désormais, dans l’imaginaire collectif, le twerk est synonyme de femme-objet et de spectacle polisson. Pourtant, à la base, le twerk suggère une reconnexion à soi et s’inscrit d’emblée dans le sillage du féminisme. Mettre ses fesses sur le mode vibreur est donc loin d’être une bavure anti-féministe.

Secouer ses fesses, un moyen de se réapproprier son corps

Tout ce qui « ressort » du corps des femmes est sans cesse invité à se ranger derrière des vêtements et à ne pas trop s’exposer. Dans cette société faussement pudibonde, laisser deviner un téton sous un haut est déjà « dramatique » alors plier ses genoux pour onduler les fesses est d’une grossièreté sans nom. Dès que les courbes des femmes s’agitent, la bave coule, les joues rougissent et les pensées obscènes affluent. L’influenceuse Léna Situation en a récemment fait les frais en faisant le yoyo avec ces fesses seulement quelques secondes.

Mais Rihanna, Beyoncé et Cardi B ne sont pas les seules à pouvoir prétendre à cette vague suave et technique. Comme l’explique Fannie Sosan, animatrice de twerk workshops (sorte de cours d’initiation, ndlr) au média Konbini, le twerk est un moyen de s’émanciper du male gaze et de reconquérir sa sensualité en faisant fi des « on dit ». Pour Maïmouna Coulibaly pionnière de la « booty therapy », le twerk est tout sauf une danse de dévergondée ou de débauchée. Au contraire, selon sa vision, c’est le mouvement de la délivrance. Cette danse aux accents primitifs déloge les complexes à grand coup de reins. Pratiquer le twerk, c’est considérer ses rondeurs comme un instrument à part entière et non plus comme une disgrâce physique.

Le twerk dérange puisqu’il délivre le corps féminin des carcans et de l’injonction à être « docile ». Selon les dogmes du patriarcat, les fesses des femmes sont censées se soulever uniquement dans le coït, mais jamais en public. Le twerk brave cette grande règle, ce qui le relie indirectement au féminisme.

Le twerk, une pratique qui compte de plus en plus d’adeptes

Des ateliers de « twerk » fleurissent un peu partout en France et rencontrent un franc succès. Mais les personnes qui s’inscrivent à ces cours ne le font pas pour frimer en boîte de nuit. Elles appréhendent cette danse comme un sport cathartique, au même titre que le crossfit ou le jogging. Il faut dire que le twerk est aussi physique qu’une séance de cardio de 45 minutes.

Même si l’effort se concentre sous le nombril, la position squat associée aux mouvements de bassin a de quoi faire flageller les jambes. Cette passion soudaine pour le twerk fait sens avec les convictions actuelles qui revendiquent plus de souplesse mentale avec les femmes. Le triomphe est tel qu’une école de danse spécialisée dans le twerk a récemment ouvert ses portes à Bordeaux.

Le twerk, souvent hissé en geste « interdit », est une belle façon de communier avec soi et de se délester de ce regard masculin si pesant. S’il est autant plébiscité, c’est certainement pour envoyer valser les « normes ». Faire du twerk est donc loin d’être une injure au féminisme, c’est un signe de rébellion tout aussi valable que les collages.  

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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