Pourquoi le violet est devenu l’emblème des luttes féministes ?

Ce n’est pas pour rien si le collectif Nous Toutes, engagé pour les femmes, a choisi le violet comme couleur de prédilection. Depuis le XIXe siècle, cette teinte, résultat d’une alchimie entre le rose et le bleu, éclabousse les soulèvements féministes. Des Suffragettes au mouvement #Metoo, le violet se hisse en symbole de révolte au même titre que les sorcières. Lorsqu’elles sont dans une colère noire, les militantes brandissent haut le drapeau violet. Et cette tonalité qui tapisse les manifs n’a pas été choisie au hasard. On vous explique. 

Le violet, une teinte rare d’abord réservée à l’élite

Dans la vaste palette des insignes féministes, le violet occupe une place royale. À l’occasion des mobilisations, cette couleur s’érige en maître sur des pancartes « ras le viol », « mon corps, mon choix » ou encore « victime on te croit, agresseur on te voit ». Sa dernière apparition dans la rue ? Dimanche dernier, le 9 octobre devant le Panthéon.

Sous l’impulsion du collectif Nous Toutes, 101 femmes habillées de noir, le visage caché sous un voile violet, siégeaient devant ce monument honorifique parisien. Le but de cette action remarquée ? Créer un « cimetière de féminicides » pour dénoncer le 101e féminicide depuis le 1er janvier 2022. Si aujourd’hui le violet a le monopole des luttes féministes, dans le passé la couleur était une marque de puissance, portée par les plus hauts gradés.

Cléopâtre ou encore Jules César vouaient ainsi un véritable culte à cette couleur, denrée précieuse à l’époque. Dans l’Antiquité, il fallait une quantité faramineuse de mollusques de la région de Tyr pour la fabriquer. D’où sa rareté et son côté quasi « sacré ». Le violet était tellement adulé que le roi anglais Henri VIII l’avait carrément interdit aux citoyen.ne.s.

Il faudra patienter jusqu’au XIXe siècle, la découverte accidentelle d’une façon synthétique de créer le violet, pour que la couleur soit disponible en accès libre, à moindre coût. C’est à partir de là que les Suffragettes y trouvent un écho féministe.

Les Suffragettes, pionnières dans l’utilisation du violet

Difficile d’imaginer les nuances violettes sur des photos en noir et blanc. Pourtant, les Suffragettes anglaises, héroïnes féministes des années 1900, en font leur signature pour réclamer le droit de vote. Leur port d’attache militant, la Women’s Social and Political Union (WSPU) se pare d’ailleurs de trois couleurs : le violet, le blanc et le vert. Emmeline Pethick-Lawrence, une des membres éminentes du mouvement de révolte justifie ce choix ainsi :

« Le violet en couleur dominante symbolise le sang royal, qui coule dans les veines de chaque femme luttant pour le droit de vote, la conscience de la liberté et de la dignité. Le blanc symbolise l’honorabilité dans la sphère privée et politique ; enfin, le vert, l’espoir d’un nouveau commencement », explique Emmeline Pethick-Lawrence, militante du WSPU

Ce code couleur significatif devient un emblème de contestation commun. Aussi utilisé pour des raisons pratiques, ce trio chromatique est omniprésent dans les garde-robes du XIXe siècle. C’est ce que l’on appelle « faire avec les moyens du bord ».

Hasard ou non, au tournant de l’époque Victorienne, la longue jupe violette était un grand hit mode. Alors, le violet ne se décline pas seulement sur les banderoles des Suffragettes. Il tapisse les tenues, en toute subtilité, au détour de quelques plumes dans un chapeau par exemple.

Cette couleur, également élue reine du féminisme pour des questions de disponibilité, refait surface en 1960-1970, dans les mains du Mouvement de libération des femmes (MLF). Une seconde heure de gloire qui confirme son incarnation féministe.

Le violet, mariage entre le bleu et le rose, signe d’égalité

Au 21e siècle, cette vague violette recouvre les logos d’associations féministes à l’instar de la Fondation des Femmes ou du Collectif Georgette Sand. Pour retrouver les traces du premier sigle violet, il faut pourtant remonter en 1970. Le violet y renaît au cœur du poing levé dans un symbole de Vénus. Un signe encore largement repris en 2022.

Les personnes qui ont suivi leurs cours d’art plastique avec assiduité savent que pour faire du violet, il suffit de mélanger du bleu et du rose. Autrement dit, deux couleurs qui séparent traditionnellement les genres. En diluant ces teintes encore empreintes de stéréotypes, on obtient une couleur « neutre » qui réunit hommes et femmes. L’égalité des sexes s’écrit donc à l’encre violette.

Gare aux excès de violet

Et si cette couleur déborde fièrement au-delà des frontières, elle essore parfois certains abus. De nombreuses marques se servent en effet de ce symbole féministe à des fins marketing ou pour se sculpter une image « exemplaire » mensongère. C’est ce que l’on nomme le purple washing ou feminism washing. Les joueurs argentins arboreront ainsi un maillot violet « symbolique » lors de la Coupe du monde au Qatar. Coup de comm’ ou véritable engagement ? Le mystère reste entier.

En 2018, le violet était nommé couleur de l’année. Trait d’union entre toutes les générations de femmes, cette teinte est un héritage de caractère qui continue de briller. Puisqu’il reste encore un siècle avant l’égalité, le violet n’est pas prêt de tirer sa révérence. Longue vie au violet ! 

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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