Le 5 mars dernier, Marlène Schiappa annonçait qu’en 2020, 90 % des femmes ayant porté plainte pour violences conjugales étaient satisfaites de l’accueil en commissariat et gendarmerie. Un chiffre récolté après une étude menée auprès de 2 072 victimes et réalisée dans 124 sites de la police nationale et 466 unités de gendarmerie. Perplexe, le collectif féministe #NousToutes a alors lancé un appel à témoignages ainsi qu’une enquête intitulée #PrendsMaPlainte. Les résultats divergent, c’est le moins que l’on puisse dire… Lumière.
Une donnée dangereuse sur le plan politique
L’enquête disponible en ligne menée par #NousToutes avec le hashtag #PrendsMaPlainte a généré des centaines de témoignages sur Twitter. L’association a récolté 3 500 réponses en seulement 15 jours. « Ce chiffre est en total décalage avec la réalité de terrain. C’est dangereux sur le plan politique. Si le ministère dit aux gendarmes et aux policiers qu’ils font bien leur travail, il n’y a aucune chance qu’ils changent leurs pratiques », déclare ainsi Caroline De Haas, cofondatrice du collectif féministe #NousToutes.
Selon le ministère de l’Intérieur, 90% des femmes victimes de violences conjugales sont satisfaites de l’accueil en commissariats et gendarmeries. 🙃
🗣 Racontez comment s’est passé votre dépôt de plainte pour violences sexuelles avec #PrendsMaPlainte
— #NousToutes (@NousToutesOrg) March 24, 2021
En effet, le constat est alarmant. Selon ce document enquête du collectif, dans 66 % des cas les femmes ayant témoigné font état d’une mauvaise prise en charge par les gendarmeries et commissariats. 34 % de celles interrogées parlent d’une bonne prise en charge. Bien loin des 90 % donc.
Les raisons de cette mauvaise prise en charge
Les témoignages anonymes reçus via un formulaire en ligne font l’état d’un profond manque d’empathie et de professionnalisme de la part des membres des forces de l’ordre. C’est aussi bien le cas dans l’accueil que dans la prise en charge des femmes victimes de violences sexuelles.
Dans de nombreux cas, les femmes, car elles sont 97 % à avoir répondu, témoignent ainsi d’une banalisation des faits (67,8 %). Elles parlent également d’un refus ou d’un découragement à prendre leur plainte (56,5 %). Un refus illégal comme le précise l’article 15-3 du Code de procédure pénale. 55 % des femmes soulignent même une « culpabilisation de la victime » de la part des forces de l’ordre. Pire encore, 26,2 % font état d’une solidarité avec la personne mise en cause pour violences conjugales.
Quand je suis allée porter plainte pour agression sexuelle: « oui mais en même temps mademoiselle qu’est ce que vous faisiez à 20h30 dans la rue seule dans ce quartier? » je sais pas, je rentrais chez moi après mes 12h à l’hôpital. #PrendsMaPlainte
— Leïla (@leila_alix92) March 24, 2021
Du côté des personnes non-binaire, les témoignages évoquent, dans 50 % des cas, des moqueries, du sexisme ou des propos discriminants de type racisme, lesbophobie ou transphobie. D’autre part, 30 % des témoignages concernent des victimes mineures qui se disent particulièrement exposées à une culpabilisation de la part des forces de l’ordre (58 %). Ils affirment bien souvent qu’elles sont « provocantes ».
Des témoignages glaçants
Pour appuyer les chiffres, voici certains témoignages des victimes.
- Une banalisation des faits : « Violée par un homme venu à mon domicile pour m’aider à rénover mon appartement. ‘Bah il ne faut pas laisser des individus venir chez vous Mademoiselle’. D’accord. » (Paris, 2020).
- Un refus de prendre la plainte : « J’ai porté plainte pour harcèlement sexuel, après avoir refusé ma plainte, j’ai demandé à la gendarme si elle attendait que je me fasse violer, elle m’a répondu ‘oui exactement, mademoiselle, on attend que vous vous fassiez violer‘ » (Val-d’Oise, 2019).
- Un découragement de prendre la plainte : « Ils m’ont dit que ce n’était rien, que les violences et le harcèlement que je subissais c’était simplement parce qu’il m’aime et n’arrive pas à me laisser. Qu’il n’est pas en infraction » (Seine-Saint-Denis, 2021).
- Une culpabilisation d’une victime mineure : « J’avais 13 ans lors de mon agression, c’était par mon ex, qui en avait 16. Quand je suis allée porter plainte, j’étais en foyer avec placement judiciaire, les filles placées par l’ASE on ne nous croit pas. La première question qu’on m’a posée est ‘êtes-vous une allumeuse ?‘ » (2019).
- Des moqueries, propos sexistes ou discriminants face à une victime non-binaire : « On m’a dit que je l’avais bien cherché, que mon agresseur m’avait violé parce que ‘je me fais passer pour un homme‘ » (Montpellier, 2019).
- Une solidarité avec la personne mise en cause : « Lors de la déposition, on m’a forcée à écrire que l’ex-conjoint de ma mère qui avait tenté de la tuer ‘était gentil’« (Doubs, 2019).
Une note d’espoir…
Au niveau global, on note, tout de même, un signe d’espoir. Les mauvaises prises en charge parmi les témoignages représentaient 61 % en 2019 et 58 % en 2020. En 2021, elles représentent 46 % des témoignages. C’est une bonne nouvelle. Mais de là à dire que cela se passe bien la plupart du temps, soit à 90 %, n’est pas vrai, au vu des chiffres…
Pour rappel, à ce jour, 70 % des plaintes pour viol sont classées sans suite. C’est aussi le cas pour 80 % des plaintes pour violences conjugales.