Pour rendre « hommage » à Serge Gainsbourg, la station de métro des Lilas, située à Paris, se verra bientôt attribuer le nom du chanteur effronté. Une modification qui fait beaucoup parler, et pas seulement dans les souterrains de la capitale. Une pétition a même été lancée pour protester contre ce changement de blason. Les signataires pointent notamment l’insolence de « Gainsbar » envers la gent féminine et les multiples chefs d’accusation qui collent à l’auteur de « couleur café ». Le soulèvement s’articule aussi sur la toile sous la phrase « remplacer Gainsbourg par », qui réunit plusieurs artistes à la plume aiguisée et aux dessins militants.
Les « Lilas », la station de métro de la discorde
Dans un futur proche, la ligne 11 du métro parisien est amenée à s’étirer de six stations, dont celles des Lilas. Naturellement, la mairie de la ville et la RATP ont souhaité faire un clin d’œil à Serge Gainsbourg en lui donnant son nom. Celui qui chantait « le poinçonneur des Lilas » et chérissait particulièrement le quartier est venu comme une évidence. Jane Birkin, a elle aussi, appuyé la candidature de son ex-mari défunt, à cette élection symbolique orchestrée sous terre.
Pourtant, depuis cette annonce, la grogne ne cesse d’enfler à la surface. Un combat, parfois jugé « anecdotique », qui fait pourtant sens. Au-delà d’être une des voix les plus « iconiques » de France, Serge Gainsbourg est aussi un personnage « opaque » qui traîne de nombreuses casseroles. Cet enfant terrible de la musique s’est surtout illustré par des chansons « grivoises » qui glamourisent les violences sexuelles et maltraitent l’image des femmes. C’est en partie pour cette raison qu’une pétition bien corsée a vu le jour en novembre 2023.
Les 16 000 signataires s’opposent fermement à ce projet qui accorde les louanges à un homme rongé par les vices. Les autrices, elles, n’hésitent pas à poser les termes. Elles fustigent ce choix d’un « chanteur qui a non seulement romantisé l’inceste, les féminicides et les violences sexuelles dans toute son œuvre, mais surtout qui a commis d’innombrables agressions sexuelles en public ». Comme pour donner de la résonance à cette lutte, une initiative parallèle intitulée « Remplacer Gainsbourg par » a investi les réseaux sociaux.
« Remplacer Gainsbourg par », militer le crayon tendu
Si Serge Gainsbourg brandissait son micro pour chanter des horreurs et faire l’apologie du machisme, les illustratrices modernes plantent leur plume dans le papier pour dénoncer cette station de métro de l’imposture. Regroupées à l’unisson derrière « Remplacer Gainsbourg par », elles soumettent d’autres figures féminines plus éloquentes et admirables pour déloger le chanteur des Lilas.
Une mini-BD en amorce
C’est Cécile Cée qui a pavé la voie à ses consoeurs en publiant une mini-BD sur Instagram. Dans ce carrousel, elle froisse l’image dorée de Gainsbourg, encore trop souvent hissée en pilier de la chanson française. À grand renfort d’archives, de coupures de presse, d’interviews télé et de témoignages, elle compile toutes les bavures de cet artiste effronté. En 1967, il soumet à une France Gall âgée de seulement 18 ans la chanson « Les Sucettes » et glisse dans sa bouche des paroles à forte connotation sexuelle.
En 1984, il sort le tube « Lemon Incest » en binôme avec sa fille, à peine entrée dans la pré-adolescence. Le titre parle de lui-même et associe ouvertement l’inceste à une « gourmandise ». Le clip, quant à lui, brosse une toile écoeurante qui campe les propos chocs du texte. Charlotte et son père s’y affichent à moitié dénudés, dans la pénombre d’une chambre à coucher. Dire que Serge Gainsbourg était irrespectueux avec les femmes est un euphémisme. Pendant toute sa carrière, ce misogyne multi-récidiviste n’a cessé d’objectiver le corps des femmes, même celui de sa propre fille. Dans son post, Cécile Cée retrace, la rage au stylo, toutes les monstruosités de ce personnage encore tant adulé.
Plusieurs noms féminins cités pour transformer Gainsbourg
C’est ainsi que le mouvement « Remplacer Gainsbourg par » s’est gravé entre les pixels d’Instagram. Plusieurs illustrateur.ice.s ont mis leurs mines tranchantes au service de cette noble contestation. Iels esquissent des visages féminins plus ou moins évocateurs qui peuvent prétendre à l’investiture de la station des Lilas.
Dans ces propositions qui fleurent bon le girl power, le nom d’Anne Sylvestre se démarque et semble remporter tous les suffrages. D’autres figures féminines inspirantes se sont également érigées sous le « Remplacer Gainsbourg par » telles que France Gall, Judith Godrèche ou encore Monique Wittig.
Redonner de la visibilité aux femmes dans l’espace public
Le mouvement « Remplacer Gainsbourg par » souhaite également redessiner les contours de l’espace public et y incorporer plus de références féminines. Attribuer le nom de Serge Gainsbourg à une station de métro questionne aussi les représentations homme-femme dans le paysage urbain. Au cœur de ce grand gruyère ferroviaire qui s’épanouit sous la Ville Lumière, les noms féminins se font rares. Sur les 302 stations de métro parisien, seules 7 sont à l’effigie de femmes. Même écho à l’air libre où 97,4 % des rues portent des noms d’hommes.
Pourtant, ces noms masculins placardés dans Paris ne renvoient pas toujours à un passé glorieux. Pablo Picasso, qui orne une place parisienne, était loin d’être tout « blanc ». Il incitait des mineures à poser nues et retenait une de ses muses pour prisonnière. À contrario, plusieurs génies féminins dont le nom a été éclipsé mériteraient davantage cette vitrine à ciel ouvert…
Le mouvement « Remplacer Gainsbourg par » entend bien corner le portrait du chanteur, tristement « immunisé » par la célébrité et l’expulser des Lilas. Selon certains échos, Barbara, Nina Simone et la résistante Lucie Aubrac devraient s’imprimer sur l’extension de la ligne 4. Mais est-ce vraiment suffisant ?