Du hashtag #tradwife qui recycle le cliché de la femme au foyer au « abrège frère » qui coupe la parole aux femmes, les réseaux sociaux sont devenus des amplificateurs de pensées sexistes. Les contenus à teneur misogyne défilent sous les pouces et se tissent inlassablement sur la toile. Les ados, supposés incarner le changement, se font les relais de ce machisme 2.0 avec des tendances qui semblent tout droit sorties d’un autre siècle. Les femmes se font refaire le portrait gratuitement entre les pixels, alias la nouvelle place publique. Et l’algorithme a l’air de donner raison à ces vidéos qui font la promotion de la masculinité toxique. Les formules sexistes à la fois crasses et rétrogrades font foi dans la bouche des ados. Mais comment contrer ce phénomène inquiétant qui sévit de l’autre côté des écrans ?
Propos dégradants sur les femmes, apologie de la virilité…
« La femme est inférieure à l’homme », « la place des femmes est à la cuisine », « une gifle ça n’a jamais tué une femme »… Non, ces propos ne remontent pas aux années 10, ère où le patriarcat était encore à son paroxysme. Ils sont du 21e siècle, étalés comme des messages de propagande anti-femmes sur les réseaux sociaux. Depuis l’émergence des réseaux sociaux, de nouvelles formules sexistes font surface et contaminent les jeunes esprits des ados.
Sur la toile, les femmes sont prises à partie et réduites à des stéréotypes archaïques. Au gré d’un scroll, il n’est pas rare de tomber sur des contenus qui salissent leur image. C’est même tristement « banal ». Récemment, la tendance « abrège frère » mettait les femmes en veilleuse et les accusait de « blablater » pour ne rien dire. Le créateur de contenu du même nom résumait, en quelques secondes, les storytimes jugées trop longues de certaines influenceuses. Une façon assez sournoise de « voler » la parole aux femmes.
Parmi les autres formules sexistes, devenues des crédos chez les ados, le mot « women ». Popularisé par la « sigma community », soit les mâles alpha du Net, il fait partie de leur jargon indéchiffrable au même titre que « quoicoubeh » ou « seum ». Les jeunes l’utilisent pour se moquer d’une femme lorsqu’elle agit de façon « stéréotypée » à leurs yeux. Une version rafraîchie de « c’est un truc de femmes » avec un supplément de critiques.
Selon une étude menée par le Haut Conseil à l’égalité, 68 % des contenus Instagram propagent des stéréotypes de genre et relèguent la femme à une image maternelle. Sur TikTok, 42,5 % des vidéos analysées présentent les femmes sous une tonalité ridicule ou dégradante avec des mises en scène grossières. Forcément, dès que ces contenus se reflètent dans les yeux des ados, ils actent un lavage de cerveau à la sauce masculiniste.
Des formules sexistes reprises en choeur par les ados
Ces formules sexistes, qui s’essaiment dans le langage courant des ados, ne sont pas le fruit du hasard. Les générations du dernier rang de l’alphabet sont nées avec le téléphone greffé à la main. Selon les calculs, les ados passent plus de cinq heures par jour la tête dans les réseaux sociaux. Ils nourrissent leurs esprits avec les contenus qui passent sous leurs doigts et se forgent à travers ces écrans de poche.
Pour eux, les réseaux sociaux sont parole d’évangile. Sauf que voilà, entre les fameux coachs en séduction qui remuent de vieux clichés de la femme-objet et les incels « refoulés » qui se camouflent derrière l’étiquette de l’influenceur charismatique, les ados n’ont pas forcément les meilleurs référents.
« Les jeunes hommes sont complètement influencés par ce qu’ils regardent. Or, les séquences les plus vues sur YouTube en France sont des séquences de machisme ordinaire », précisait Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut Conseil à l’Égalité sur France Inter
Inévitablement, au lieu de prôner la paix des sexes, les ados actent une nouvelle guerre 2.0. Les pouces sont des gâchettes et les réseaux sociaux des armes de destruction massive. Ce sexisme « en libre accès » sur la toile construit de futurs hommes « dominants », hostiles aux femmes. D’ailleurs, les chiffres en attestent. Le machisme est sur une pente dangereuse. D’après l’état des lieux du HCE, 23 % des hommes de moins de 35 ans pensent qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter.
Sur la toile, des algorithmes en faveur du sexisme ?
Les algorithmes semblent aussi prendre parti et affirmer une position très tranchée en faveur du machisme. C’est le constat qu’a fait l’University College London (UCL) et The Association of School and College Leaders. Si les formules sexistes « codées » investissent le vocabulaire des ados, c’est parce que les réseaux sociaux font du « tri sélectif » de contenus et les exposent à des vidéos à caractère sexiste.
À l’affiche de TikTok, ce ne sont pas les démonstrations de danse ou les tutos makeup ASMR qui arrivent en tête. Pendant 7 jours, les chercheurs ont passé au crible les vidéos « vantées » dans la rubrique « Pour toi » de l’application chinoise. Au début, les vidéos gravitaient autour des sujets de prédilection des ados. Mais au bout de cinq jours, l’algorithme présentait quatre fois plus de vidéos au contenu misogyne. Des femmes dépeintes en bout de viande, des pranks humiliants, du harcèlement sexuel… Autant de contenus poussés en avant qui écorchent violemment le portrait féminin.
Quelles solutions contre ce regain de sexisme chez les ados ?
Pour panser ce sexisme métastatique qui attaque désormais la toile, il n’y a pas de remède miracle. Si ce n’est de vivre reclus dans une grotte comme un ermite. Toutefois, le HCE a tout de même prescrit quelques recommandations pour stopper cette régression des mentalités. Il préconise aux réseaux sociaux d’instaurer des « rapports d’autoévaluation annuels sur la place des femmes ». Sur le même modèle que ceux qui existent pour les médias. Il estime également qu’il faut créer « des quotas de filles dans les lycées, ainsi que dans l’enseignement supérieur pour les filières du numérique« .
Mais pour troquer ces formules sexistes contre l’unicité des genres, il y a un vrai travail de fond à faire avec les ados, entre les murs des foyers et de l’autre côté des grilles de l’école. Pour balayer ce cliché de la femme « bimbo » au corps refait ou de la femme « simplette », il est impératif d’avancer d’autres exemples à l’image de Marie Curie, de Simone Veil et d’autres figures inspirantes.
Ces formules sexistes qui s’esquissent dans la voix en pleine mue des ados se heurtent aussi à un certain sens de la répartie, affûtée sur la toile. Dans un élan de sororité, les femmes sont de plus en plus nombreuses à partager leurs actes de micro-féminisme entre les pixels. De quoi garder la tête haute, même dans l’adversité.