On sait tou.te.s plus ou moins reconnaître l’accent chantant du sud ou encore celui, plus guttural, du nord. Certain.e.s sourient, d’autres adorent, jusque là tout va bien. Mais quelques-un.e.s se moquent, voire discriminent les personnes ayant un accent. Ce phénomène porte un nom : la glottophobie. Avec 30 millions de Français.es ayant un accent, il serait temps que cela cesse. En novembre 2020, Christophe Euzet, député de l’Hérault, a en ce sens déposé une proposition de loi sanctionnant la discrimination pour cause de glottophobie. Un texte adopté dès sa première lecture par l’Assemblée Nationale. Comment le « sans accent » est devenu la norme ? On fait le point.
« En France, on associe les accents régionaux à la ruralité et au manque d’éducation »
Si ce type de discrimination peut sembler complètement saugrenue, il existe bel et bien. Lisa (le prénom a été changé), 27 ans, raconte à The Body Optimist :
« Je viens de la région toulousaine. Et lorsque je me suis installée à Paris pour faire mes études de journalisme (j’avais 19 ans), mes professeurs (surtout en radio), ont été très clairs. Ils m’ont dit « si tu veux te faire une place dans le milieu, tu dois travailler à gommer ton accent. Les téléspectateurs ou auditeurs n’aiment pas les accents. Ils veulent quelque chose de neutre, de parisien. Regarde les présentateurs télé ou radio, ils n’ont généralement aucun accent ». À l’époque, j’ai suivi ce conseil. Puis je me suis rendue compte de sa bêtise en grandissant. Voilà comment on commence à formater les jeunes. »
La rédaction est ferme à ce sujet : qu’est-ce que cela peut bien faire que l’on vienne du sud, du nord, de l’est, de l’ouest ou des Antilles avec l’accent qui l’accompagne ?! Absolument rien. Mais comme le souligne au Parisien.fr Maria Candea, maître de conférences à la Sorbonne-Nouvelle :
« En France, on associe les accents régionaux à la ruralité et au manque d’éducation. »
De son côté, Gaëtan se confie à La Voix du Nord : « Mes collègues francophones ont toujours été très moqueurs, particulièrement mes collègues du sud de la France. J’avais le droit à « mon consanguin préféré », « campagnard », « espèce de Belge », « apprend à parler » et j’en passe ». Marie Candea rebondit sur ce témoignage : « On accepte un peu mieux les accents méridionaux parce qu’il y a une représentation positive du sud. Mais c’est très ambivalent. Selon certain.e.s quelqu’un qui parle avec du soleil dans la voix ne pourra pas vous donner de conseils sérieux en matière de finance ou de prévention du terrorisme. »
L’accent du nord, le mail aimé
Comme l’explique le sociolinguiste Philippe Blanchet et auteur de « Discriminations : combattre la glottophobie« , au HuffPost :
« Les accents les plus discriminés en France sont ceux de la moitié nord. Dans les zones rurales et les zones suburbaines (les banlieues). C’est-à-dire que si vous avez un accent populaire d’une grande ville de la moitié nord de la France ou un accent rural non méridional, c’est fortement stigmatisé. »
Et pour des raisons plus que douteuses :
« Non seulement les gens trouvent que ce n’est pas acceptable. Mais, en plus, ils vont tenir des propos comme : « ceux qui parlent comme ça ne sont pas éduqués, pas intelligents, pas beaux, sales ». C’est aussi lié à d’autres aspects non linguistiques que sont les représentations et les stéréotypes que l’on se fait de ces groupes humains là. »
Cette stigmatisation, on l’entend souvent lorsqu’on fréquente le milieu culturel parisien. L’écrivaine Diane Ducret, interrogée par L’Express, raconte ainsi : « Lorsque j’ai présenté des émissions sur la chaîne Histoire, son directeur, Patrick Buisson, m’a carrément envoyée chez l’orthophoniste ! Encore aujourd’hui, je rêverais de pouvoir me laisser aller. Mais je me surprends à m’efforcer de fermer les « an » et les « on ». La norme sociale est telle que je continue, malgré moi, de me contrôler ».
Même constat pour la jeune Élise lorsqu’elle est arrivée à Paris pour faire ses études et était hébergée dans une famille d’accueil :
« Eux étaient vraiment de la bourgeoisie parisienne. Moi, à côté, j’étais la plouc de province. Alors que j’étudiais au même endroit que leur fille. Ils me faisaient répéter des mots, comme si c’était divertissant pour eux. »
Glottophobie et discrimination à l’embauche
Au-delà des moqueries à répétition, la glottophobie peut créer un véritable sentiment d’exclusion. Et dans des cas plus graves, de la discrimination à l’embauche. Stéphanie raconte son entretien avec un recruteur à La Voix du Nord :
« Ça va être compliqué pour le standard. Car lors de notre prise de contact par téléphone, j’ai trouvé que vous aviez trop d’accent. »
Selon un sondage réalisé par l’IFOP en janvier 2020, 30 millions de Français.es parlent avec un accent régional. Il.elle.s sont 16 % à estimer avoir déjà été victimes de glottophobie. C’est pour toutes ces raisons, mais également pour promouvoir les accents (et notre patrimoine) que l’Assemblée Nationale a étudié cette proposition de loi sanctionnant la glottophobie.
Une avancée. Même si, soulignons-le, discriminer ou se moquer de quelqu’un à cause de son accent est si puéril qu’il semble incroyable qu’une loi doive l’empêcher. Affaire à suivre…