Poses lascives, maquillage outrancier, collections de vêtements aux accents aguicheurs… dès le plus jeune âge, les enfants sont enrôlés dans une hypersexualisation odieuse et perverse. Si quelques années en arrière, cette apologie du glamour précoce se traduisait dans les concours de « mini miss », aujourd’hui elle s’est dangereusement radicalisée.
Avec l’essor des réseaux sociaux, de plus en plus de parents travestissent leurs enfants en lolita et en playboy miniature. Un phénomène endémique, qui, dans certains cas, fait le combustible de la pédocriminalité. Mais comment l’innocence des enfants a-t-elle été transpercée par cette hypersexualisation, devenue symptomatique ?
Hypersexualisation des enfants : de cas isolés à pratique banalisée
Dans les années 50, les photos souvenirs montraient des enfants crédules à la bouille angélique, sobrement accompagnés d’un paquet de billes et de nounours duveteux. Soixante-dix décennies plus tard, ils s’affichent fardés de maquillage, perchés sur des talons en plastique avec un tube de gloss dans une main et un sac à paillette dans l’autre. C’est en tout cas, le portrait que le magazine Vogue tirait des petites têtes blondes en 2010.
Des fillettes s’érigeaient en Une du média féminin vêtues de manteaux de fourrure, d’escarpins et maculées d’artifices. Des répliques de Marilyn et autres femmes fatales en version réduite. Cette hypersexualisation des enfants, couchée sur papier brillant, infeste la société, et plus seulement de façon ponctuelle.
Selon une enquête portée par Magicmaman, 84 % des mères de famille estiment que l’image des petites filles va en se dégradant. Loin de là l’étiquette de l’enfant sage, insouciant et candide en petite salopette mignonne. Avec l’émergence des nouveaux réseaux comme TikTok, les enfants se font laver le cerveau à la sauce sensuelle. Marionnettes d’une ère où tout s’érotise, ils sont dessaisis de leur précieuse fraîcheur d’esprit avant l’heure.
Comme le rappelle la psychologue Sylvie Richard-Bessette au gré de ses études, l’hypersexualisation est un « usage excessif de stratégies axées sur le corps dans le but de séduire ». Véritable bombe identitaire, elle fracasse la pureté des enfants sur le sol. Des poupées Monster High en bas résille aux habits du rayon enfant en passant par les références de pop culture tel que Little Miss Sunshine, l’hypersexualisation des enfants est devenue contagieuse.
Les concours de « mini miss »
L’hypersexualisation des enfants s’est démocratisée au compte goutte sur les podiums des concours de « mini-miss ». Cette compétition de beauté est une véritable attraction médiatique outre-Atlantique. Les fillettes, parfois âgées de quelques mois, s’y affichent mains sur les hanches, constellées de strass et saupoudrées d’autobronzant à la manière de pin-up endurcies.
Elles se prêtent à des performances troublantes, entre jeux de jambes, mouvements de bassin provocateurs, bisous ravageurs et coups de cheveux sensuels. Sourcils épilés au millimètre, peau soyeuse, faux ongles, brushing, faux cils… ces candidates renferment l’allure d’une bimbo dans un corps d’enfant. Rien à voir avec le carnaval rustique de l’école dicté par des costumes anti-gaspi ridicules.
Ces shows, massivement suivis aux États-Unis, ont largement défiguré le visage du bambin spontané et naïf à l’air poupon. Projetés sur petit écran dès 1990, les concours de « mini miss » ont pavé la voie à d’autres dérives. En plus de manipuler les fillettes pour l’appât du buzz, ils perpétuent des clichés régressifs qui discréditent les revendications d’égalité hommes-femmes. Ils enferment les filles dans des normes de séduction et de coquetterie complètement punitives.
« L’hypersexualisation n’est pas seulement une mode, elle peut avoir des conséquences négatives sur le développement des enfants. Ce phénomène laisse entendre que seule la séduction est importante alors que l’apprentissage est ailleurs », prévient le pédopsychiatre Stéphane Clerget dans l’Express
Ces concours ont tenté d’enjamber les frontières de la France, en vain. Après quelques éditions locales houleuses, une loi a été votée en 2013 pour interdire ces démonstrations enfantines malsaines. Mais malgré cette mesure forte, l’hypersexualisation des enfants a réussi à traverser l’Hexagone, par d’autres chemins.
Une érotisation nourrie par le marketing
En 2011, la marque Abercrombie & Fitch avait déchaîné les critiques avec son bikini rembourré floqué « dès 7 ans ». Mais ce tollé n’a visiblement pas servi de leçon à l’univers marketing. Une décennie plus tard, un père de famille levait le ton sur TikTok pour dénoncer l’hypersexualisation féroce et insidieuse des enfants à travers les vêtements.
Body pour nourrisson estampillé du slogan « désolée les gars, papa a dit pas de rencard », shorts ultra-courts, cropped top, hauts moulants… l’érotisation se suspend jusque sur les cintres du rayon enfant. Si certains parents sont aveuglés par le côté faussement « adorable » de ces gimmicks suaves, cette pratique commerciale berce les enfants dans un rôle torride réducteur. L’hypersexualisation des enfants enfume la publicité depuis les années 70.
En 1974, Urban Outfitters révélait ainsi une campagne abrasive. Celle-ci affichait la frimousse d’une fillette tirée à quatre épingles, bouche en cœur et regard sulfureux. Le tout assorti de la phrase suivante « l’innocence est bien plus sexy que vous ne le pensez ».
Plus récemment, en décembre 2022, c’est Balenciaga qui faisait un scandale avec la mise en scène d’enfants, en compagnie d’accessoires sexuellement connotés. Même si l’opération marketing s’est attirée les foudres de l’opinion publique et de certains peoples, elle témoigne d’une hypersexualisation des enfants presque viscérale, voire inconsciente.
Avec l’arrivée de TikTok, la digitalisation d’un fléau
Selon les chiffres, 25 % des utilisateur.ice.s TikTok ont entre 10 et 19 ans. Mais le réseau social préféré des millenials est un gouffre virtuel sans fond. Dès le plus jeune âge, les jeunes succombent à cette drogue déguisée. Sous son côté divertissant, cet univers parallèle abrite aussi des challenges de portée virale aux accents très suggestifs. Il n’y a pas uniquement des vidéos de chatons croquignolettes, il y a aussi et surtout beaucoup de mineures qui se dandinent en brassière sur du Cardi B.
Il suffit d’explorer notamment sous l’iceberg du « WAP challenge », un défi de danse très fiévreux, pour comprendre l’ampleur du malaise. Derrière ce hashtag regardé 4,1 milliards de fois, des fillettes d’à peine 10 ans défient la caméra à coup de twerks, de chorégraphie volontairement coquine et de petites tenues.
L’hypersexualisation des enfants, auparavant partielle, est devenue une tendance compulsive. Les jeux de rôle récréatifs avec les talons de maman aux pieds et du rouge à lèvres plein le visage se sont enveloppés d’un sérieux affolant. Une porte ouverte sur des variantes plus extrêmes, voire illicites.
Hypersexualisation des enfants, des conséquences dramatiques
Si l’hypersexualisation des enfants est régulièrement prise sous le ton de la rigolade, elle est en réalité saturée de toxicité. Elle est hautement venimeuse pour la stabilité psychologique de l’enfant et son estime personnelle. Elle ne dénature pas seulement le physique. Cette banalisation du glamour précoce marque les enfants de l’intérieur comme un crayon waterproof.
Un impact psychique lourd
L’hypersexualisation déforme totalement les relations entre les sexes, emprisonne les enfants dans leur apparence et infuse des stéréotypes rétrogrades nocifs pour la construction de soi. Elle condamne les fillettes à une intelligence passive, un physique toujours soigné et une attitude obéissante. Des lignes de conduite à l’opposé polaire du féminisme.
Ce fléau est aussi préjudiciable pour les garçons, alors contraints de déglutir leur larme et de s’armer pour la bagarre. Forcer les enfants à s’accaparer des traits d’adultes très caricaturaux revient également à souiller leur quête identitaire.
« En misant sur le paraître, les jeunes filles deviennent dépendantes de l’appréciation des autres et, par le fait même, fort vulnérables avec des conséquences néfastes sur leur santé mentale », étaye une étude canadienne
Cette érotisation chronique force les filles à se surveiller et à se traquer de la tête aux pieds. Une restriction imposée qui rejaillit à l’âge adulte sous des aspects plus dévastateurs et virulents. Selon plusieurs études croisées, cette survalorisation de la séduction est un piège mental capable de conduire jusqu’aux troubles du comportement alimentaire.
Elles soulignent également d’autres travers comme l’utilisation récurrente de régimes amaigrissants dès le plus jeune âge, la consommation de drogue et d’alcool, le tabagisme, le recours aux chirurgies esthétiques, les relations sexuelles. Le rapport à soi et aux autres vire alors au supplice.
« Quand à 8-12 ans, vous n’avez pas la maturité psychique pour supporter le regard désirant d’un homme, il y a un trouble, un effroi. Et plus tard, à 18-20 ans, cela revient comme une forme d’inhibition », explique la psychothérapeute Nicole Prieur dans les colonnes d’Europe 1
Le risque des abus sexuels
L’hypersexualisation des enfants fait le terreau fertile de la pédocriminalité et attise la frénésie des prédateurs sexuels. Pendant le confinement, le nombre d’abus sexuels en ligne perpétrés sur les enfants a d’ailleurs connu un sursaut terrifiant. Avec de faux profils et des messages aux allures de leurre, les pédophiles flairent leur proie sur le net armés d’une couverture presque imperceptible.
Selon les chiffres de l’ONU, il y aurait plus de 750 000 prédateurs sexuels connectés sur les réseaux sociaux. Malgré une chasse permanente, ces détraqués sexuels parviennent à passer entre les mailles du filet. En marge de cette nécrose digitale, les images pédopornographiques ne cessent de proliférer comme si la faim des pédophiles était insatiable. Il y a 10 ans, moins d’un million de contenus émergeaient ponctuellement. Aujourd’hui, on en compte 45 millions rien qu’aux États-Unis.
Et nul besoin de balayer le dark web pour accéder à ces mises en scène d’une monstruosité indicible. C’est ce que révélait une récente enquête signée le Monde. Des prédateurs sexuels occidentaux contactent des familles philippines pour leur commanditer des actes sexuels sur enfants en échange d’une certaine somme d’argent. Ces viols se passent « en live streaming » dans l’intimité des boîtes de messagerie Facebook.
Le documentaire sur la face cachée de Pornhub (disponible sur Netflix) met lui aussi en exergue un fantasme cinglant autour des « corps d’enfant ». Les mots clés « jeune », « adolescente » et « écolière » caracolent même en tête dans les recherches principales. Une attirance effrayante qui entretient un lien étroit avec l’hypersexualisation des enfants.
Quelles mesures contre l’hypersexualisation des enfants ?
Dans certains pays, l’hypersexualisation des enfants est retenue par des lois parfois radicales. Ainsi, en Suède, en Norvège et au Québec, les publicités télévisuelles destinées aux enfants de moins de 13 ans ont été bannies du paysage. Au Royaume-Uni, les adolescent.e.s de moins de 16 ans, quant à elleux ne peuvent pas être l’égérie des marques. En France, un arsenal de mesures a été déployé en 2012 en réponse à un rapport édifiant émis par le conseil d’analyse stratégique (CAS).
Pour faire barrage à cette fâcheuse pratique, la sénatrice UMP Chantal Jouanno, ex-ministre des Sports, avait énuméré une série de recommandations. Mise en place d’une « charte de l’enfant », interdiction de la promotion d’images sexualisées des enfants, création d’un système de signalement à destination des parents… Parmi ces propositions, seules certaines ont été gravées dans le marbre. Plus récemment, le 6 mars dernier, l’Assemblée votait à l’unanimité une loi pour protéger le droit à l’image des enfants.
Une contre-attaque nécessaire à l’heure où un.e enfant de moins de 13 ans apparaît en moyenne sur 1300 photos en ligne. Ces images, aussi inoffensives soient-elles, tombent souvent entre les griffes des prédateurs. Selon les chiffres des rapports du National Center for Missing and Exploited Children, « 50 % des photographies qui s’échangent sur les forums pédopornographiques avaient été initialement publiées par les parents sur leurs réseaux sociaux ».
L’hypersexualisation gangrène la société et elle ne concerne pas seulement les enfants. Dans son rapport de 2021 sur l’image des femmes sur Internet, la Fondation des Femmes lançait un cri d’alarme. Près de 75 % des clips YouTube renvoient une image stéréotypée des hommes et des femmes.