La France compte 330 000 SDF sur son sol. Ces invisibles des rues, à la merci de toutes les intempéries, vivent dans un monde à ciel ouvert hostile, froid et indifférent. À longueur de journée, iels croisent des regards tantôt chargés de pitié, tantôt remplis de mépris et de jugements. Dans l’imaginaire collectif, les SDF sont de simples marginaux, des rejetons de la société qui ne font pas d’effort pour s’en sortir. Pourtant, avant d’atterrir dans des lits de fortune faits de cartons et de vieux matelas, iels ont été des « monsieur et madame tout-le-monde ». À l’approche des JO 2024, la ville de Paris semble vouloir les gommer du paysage, comme si les SDF faisaient tache dans le décor. Une opération de « démantèlement » déshumanisante qui nourrit un peu plus les idées reçues sur les SDF. Changeons de regard sur les sans domicile fixe.
Les SDF ne veulent pas travailler
C’est certainement l’une des idées reçues les plus tenaces sur les SDF. Beaucoup s’imaginent que les SDF se laissent pousser un poil dans la main et attendent qu’un job leur tombe sur la tête, sans trop se fouler. Combien de fois avez-vous entendu arguer « moi je ne donne pas aux SDF, ce sont des paresseux » ? Pourtant, les SDF ne passent pas leur quotidien à observer le ballet des gens actifs ou à écumer les rues d’un pas lent. Certain.e.s se lèvent aussi aux aurores pour prendre leur fonction et travailler malgré une nuit tumultueuse à dormir que d’un œil.
Selon une étude « Les sans-domicile et l’emploi » réalisée par l’INSEE, un quart des personnes SDF ont un emploi. En général, il s’agit de jobs précaires, peu encadrés et assez mal payés. En parallèle, 39 % des SDF sont au chômage et peinent à se réinsérer dans le monde du travail. Entre les moyens de locomotion toujours plus onéreux, les dépenses liées à la recherche d’emploi et le manque d’apprêt lors des entretiens d’embauche… Les SDF sont dans l’impasse. Iels sont laissé.e.s en marge du système professionnel et rien n’est fait pour leur faciliter la tâche.
Les SDF sont alcooliques ou drogué.e.s
Parmi les idées reçues sur les SDF, celle-ci est devenue une grossière généralité. Certes, il arrive de croiser des SDF avec une canette de bière à la main ou de les voir cracher des nuages de fumée à l’odeur prononcée de cannabis. Mais les SDF ne sont pas tou.te.s des « junkies » ou des « ivrognes » rongé.e.s par les addictions. Cependant, il y a une part de vérité dans cette description caricaturale.
De nombreux.ses SDF sombrent dans l’alcoolisme, comme pour « oublier » momentanément leur situation et leurs conditions de vie vétustes. Selon plusieurs études groupées, la prévalence de la dépendance à l’alcool chez les SDF se situerait entre 8,5 % et 58,1 %, ce qui laisse une sacrée marge de différence. Vous avez peut-être déjà hésité à glisser une pièce dans le gobelet d’un.e SDF par crainte qu’iel en fasse mauvais usage. Pourtant, même s’il arrive que des SDF préfèrent acheter un litron plutôt qu’un sandwich, ce n’est pas une raison pour les « incriminer ». Derrière ces addictions se cache souvent un profond mal-être.
Les SDF sont responsables de leur situation
Plus d’une personne pense que les SDF ont choisi de vivre à même le bitume et de finir en bas de l’échelle sociale de leur propre chef. Voilà une des idées reçues qui collent fermement à la peau des SDF. En effet, il existe peut-être une poignée de SDF qui ont décidé de leur plein gré de rompre avec la société et de vivre hors du système, mais ce n’est clairement pas une majorité.
Avant de se retrouver sous les ponts, à cohabiter avec les rats et les déchets sauvages, les SDF avaient, pour la plupart, un toit sur la tête, un emploi et même une famille. Selon les chiffres du Centre d’observation de la Société, 57 % d’entre elleux ont perdu leur logement, indépendamment de leur volonté. Événement familial, difficultés économiques, mobilité géographique… autant d’imprévus qui peuvent conduire à la rue brutalement.
Les SDF ne veulent pas se faire aider
Vous avez déjà tendu un sac de courses ou un repas à un SDF et iel vous l’a refusé ? Encore une fois, ce n’est pas un scénario si commun. C’est une exception. Cependant, il n’est pas rare d’entendre « les SDF préfèrent rester autonomes et ne dépendre de personne, iels ont une fierté mal placée ». Toutefois, la réalité est beaucoup plus complexe. Si de nombreux.ses SDF refusent les dispositifs d’action publique ou les hébergements d’urgence mis à leur disposition, ce n’est pas par caprices ou par rébellion.
Certain.e.s ont peur de perdre leurs repères et le peu de lien social qu’iels ont réussi à créer tandis que d’autres craignent d’être séparé.e.s de leur famille. À noter également que les logements de dépannage sont souvent interdits aux animaux, partenaires privilégiés des SDF. En général, ils réunissent également un public large et sans distinction, à la manière d’une « bétaillère » humaine. C’est un coup de massue dans la dignité des SDF. Parfois, iels préfèrent donc dormir sur un trottoir encrassé plutôt que dans ces lieux spartiates où la menace règne.
Les SDF n’ont pas beaucoup de bagages pro
Parmi les idées reçues les plus récurrentes sur les SDF, celle-ci prétend que les pèlerins du pavé sont incultes et sans diplômes. Beaucoup voient les SDF comme des personnes au QI limité et au parcours estudiantin inexistant ou en décrochage scolaire. Pourtant, les SDF ont parfois sillonné des écoles prestigieuses avant d’user leur semelle et leur mental sur le bitume.
Selon une étude de l’Insee et de l’INED de 2006, un sans-abri sur dix est diplômé de l’enseignement supérieur. Loin de là donc le cliché qui hisse les SDF en êtres incompétents embourbés dans l’échec. Les SDF ressortissants d’autres pays sont d’autant plus concerné.e.s. Dans leur ville natale, iels exerçaient parfois en tant que médecin et une fois débarqué.e.s en France, soi-disant terre promise, iels se retrouvent à mendier auprès de celleux qu’iels pourraient soigner.
Ces idées reçues sur les SDF ne font que muscler l’indifférence et repousser les mains tendues. À l’aube des JO, les SDF ont été envoyé.e.s dans des cars direction Orléans, déraciné.e.s injustement comme des mauvaises herbes et balayé.e.s de l’espace public à la manière de poussières. Un traitement qui prouve tout le désintérêt de l’État porté aux oublié.e.s de la rue…