Être une femme et ne pas vouloir d’enfant : Bettina Zourli se livre sur ce choix encore mal perçu

Aujourd’hui encore, les normes, pressions sociales ainsi que les injonctions faites aux femmes, comme celle à la maternité, sont bien trop présentes dans notre société.⁠ Entre tabou et rejet, le non-désir d’enfant divise ainsi. Pourtant, devenir mère n’est pas une obligation, ni une « case à cocher pour une vie réussie et pleinement accomplie ».

Au travers de son blog, de son compte Instagram et de son essai « Childfree, je ne veux pas d’enfant » publié en 2019, Bettina Zourli est bien décidée à balayer les injonctions à la parentalité. Rencontre.

The Body Optimist : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

« Je m’appelle Bettina Zourli, je vais avoir 30 ans, je suis autrice, rédactrice et créatrice de contenus engagés sur Instagram via mon compte @bettinazourli. Je partage au travers de mes écrits et posts mes réflexions quotidiennes sur l’injonction à la parentalité, la pression sociétale liée aux normes et le poids des convenances. Le tout sous un prisme féministe. »

Il y a 2 ans vous avez publié votre essai « Childfree – Je ne veux pas d’enfant » (éditions Spinelle). À quel moment de votre vie avez-vous su que vous ne souhaitiez pas être mère ? Et qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?

« Je crois qu’il n’y a pas un moment précis. J’ai toujours su que je ne voulais pas être mère, mais je l’ai réellement formulé vers l’âge de 27 ans, alors que je me mettais en couple, que j’envisageais de me marier et ainsi de reproduire un schéma de vie assez normé. Je me suis rendue compte que la maternité semblait être un passage obligé. J’ai alors vraiment pris position en découvrant que cette expérience de vie ne me comblerait pas, qu’elle était même aux antipodes de mes envies et aspirations personnelles.

J’ai commencé à coucher sur le papier les phrases les plus récurrentes : « tu es égoïste », « tu vas changer d’avis » et l’envie d’écrire un essai est née. »

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Quand une femme annonce à son entourage son non-désir d’enfant, on parle presque de coming out, tant la représentation de ce qu’est une vie accomplie de femme reste « être en couple, mariée, avec enfants ». Qu’est-ce que le mouvement « childfree » ?

« Le terme childfree désigne le fait de ne pas avoir d’enfant, par choix. Il s’oppose à childless, qui désigne les personnes qui n’ont pas d’enfant par circonstance (infertilité ou autre). Il y a une réelle notion de décision, de choix de vie, qui est marginal et anormal. Puisqu’en effet une personne, et en particulier une femme, qui ne veut pas d’enfant essuie généralement de nombreuses interrogations, voire critiques.

Je ne sais pas s’il s’agit réellement d’un mouvement. Il s’agit en tous cas d’avoir un terme pour désigner un cheminement de vie encore peu compris et peu visible. »

L’instinct maternel est justement une notion encore largement ancrée dans l’opinion publique. Pour de nombreuses femmes, il reste d’ailleurs inimaginable que l’on ne puisse pas avoir envie de faire un enfant. Celles qui n’en veulent pas sont sommées de se justifier. Comment expliquez-vous que ce choix soit aussi tabou et incompris ?

« Les rôles attribués au féminin et au masculin nous suivent depuis des millénaires. On estime que le rôle maternant de la femme, érigé en donnée biologique, remonte au Néolithique, avec la sédentarisation des humains et donc une capacité reproductive de la femme plus élevée. Les religions monothéistes ont ensuite ancré cette division sexuée de la société de façon binaire, pour enfermer les femmes dans leur seul rôle de mère.

Les arguments essentialisent les inégalités entre les genres ainsi que la domination des hommes sur les femmes. Le sexe masculin est brandi vers l’extérieur, le sexe féminin rentré, les hommes doivent donc gérer la vie publique et les femmes rester à l’intérieur.

Autre donnée essentialisante en effet, la notion d’instinct maternel, qui supposerait que toutes les femmes auraient une envie innée et profonde d’enfanter. Or, il est prouvé que l’instinct maternel n’existe pas, les personnes childfree en étant bien la preuve vivante. »

« Tu vas changer d’avis, tu es encore jeune », « Un enfant c’est que du bonheur, c’est égoïste de ne pas en vouloir », « Qui va s’occuper de toi quand tu seras vieille » ; « mais tu n’as pas peur de finir seule avec des chats ? »… Ce sont des remarques qu’entendent régulièrement les femmes childfree. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

« Il y a trois ans, j’aurais pu facilement m’énerver de ces phrases, mais elles sont si récurrentes et dénuées de réflexion qu’elles ne m’atteignent plus. Je réponds, à l’envie : « je préfère regretter de ne pas avoir eu d’enfant que regretter d’en avoir eu », « l’égoïsme, c’est faire passer son envie avant celle d’autrui : à ce titre, faire un enfant l’est tout autant ». Ou encore « va dans un EHPAD, tu verras qu’avoir des enfants n’épargne absolument pas de la solitude » !

Plus sérieusement, je pense qu’avoir des personnes childfree dans son entourage, même si l’on veut des enfants, est une chance. Cela permet de rationaliser ce choix encore trop perçu comme inné et obligatoire afin de procréer en toute connaissance de cause et en embrassant toute l’ampleur de cette responsabilité. »

À travers votre livre et également votre compte Instagram, vous déconstruisez les normes sociétales, en particulier les injonctions liées à la maternité. En quoi est-ce important de libérer la parole sur ce sujet ?

« Il est primordial de montrer la diversité des cheminements de vie possible, car il me semble évident que 8 milliards d’êtres humains ne peuvent pas tous aimer la même chose ! De comprendre aussi que notre modèle sociétal et familial n’est pas naturel, inné, mais qu’il a été construit pour répondre à des besoins de productivité.

Attention, je ne dis pas qu’il faut arrêter à tout prix de faire des enfants. Je dis simplement qu’il y a une multitude de moyens de s’épanouir et qu’il serait dommage de vouloir restreindre cette diversité. »

Les femmes qui ne désirent pas d’enfant subissent plus de pressions que les hommes. Autour de 30 ans, le fameux « tic toc » de l’horloge biologique fait une entrée fracassante et les injonctions à la maternité se font plus fortes. Lorsqu’une femme est en couple, cette pression sociale s’accentue également, comme si une relation amoureuse sans enfant était inconcevable. Pourquoi la société renvoie-t-elle une image si négative de ce non-désir, selon vous ?

« Parce qu’on a toujours fait des enfants et érigé cet acte comme étant « le plus épanouissant » du monde. Parce que dès qu’on sort de la norme, on est stigmatisé.e. Et parce qu’une femme qui ne fait pas d’enfant, c’est aussi une femme qui refuse une forme de domination (comme refuser le couple, le mariage, etc.) et c’est quelque chose qui, dans une société à l’héritage patriarcal, n’est que difficilement admis. »

Le milieu médical est lui aussi parfois très réticent face au non-désir d’enfant, notamment concernant la stérilisation des femmes et des hommes. Une intervention pourtant autorisée en France depuis une loi du 4 juillet 2001. Qu’en pensez-vous ?

« Je pense que l’entrave à la loi est un délit et qu’interdire les humains à disposer de leur corps (dans le cadre d’une ligature des trompes ou d’une vasectomie) est un moyen d’infantiliser encore un peu plus. De montrer que la procréation n’est pas une affaire de choix privé, mais bien une question politique !

Je pense aussi que les praticien.ne.s qui sont contre l’IVG, la stérilisation ou autre, ne devraient pas pouvoir exercer. C’est une filière qu’on choisit. On ne permet à aucun.e autre travailleur.se de refuser une mission si celle-ci est en désaccord avec ses valeurs personnelles, il me semble ! »

Depuis quelques années, on remarque une prise de conscience sur le plan environnemental. Les témoignages se multiplient. Diriez-vous que ne pas vouloir d’enfant s’apparente à un acte politique ?

« Je dirai que ne pas vouloir d’enfant PEUT être un acte politique. En effet, il ne faut pas oublier qu’en premier lieu, ne pas vouloir d’enfant réside d’une envie interne, viscérale (au même titre que l’envie d’enfanter d’ailleurs), et qu’elle ne se choisit donc pas forcément, elle se vit.

En revanche, ce désir peut ensuite, et c’est souvent le cas, s’accompagner de réflexions politiques, écologistes, féministes. C’est d’ailleurs mon cas. Si le fait d’être childfree a d’abord été un cheminement personnel, c’est aujourd’hui une prise de position politique. Même si l’envie d’enfanter m’habite un jour, je ne serai quand même jamais mère, je le sais. En effet, je refuse la situation des femmes telle qu’elle est encore aujourd’hui, parce que mettre au monde un enfant, c’est quand même, encore en 2023, se voir confrontée au sexisme et aux inégalités. »

D’ailleurs encore en 2023, une femme qui n’a pas d’enfant est parfois perçue comme « manquant de quelque chose », « pas complètement accomplie dans sa féminité ». Auriez-vous un ou plusieurs conseil(s) à donner aux femmes et à nos lecteur.trice.s qui peinent à affirmer sereinement leur choix ?

« J’ai une chose importante à affirmer : on ne doit pas d’enfant à ses parents, ni à la société. Procréer n’est pas un dû, c’est une possibilité. On a tellement divisé les êtres humains en deux genres qu’on est incapable de concevoir qu’une femme ne se résume pas à son utérus. Mais je le répète : on a un utérus, on a le droit de s’en servir s’il est opérationnel, mais rien ne nous y oblige et cela ne fait pas de nous des personnes moins légitimes !

De plus, dire qu’une femme ne sera jamais accomplie sans enfant est une violence pour les personnes stériles, ou qui doivent subir une hystérectomie non désirée par exemple. C’est encore une manière d’essentialiser les femmes et de les réduire à une donnée biologique qu’on ne peut parfois pas contrôler pleinement. »

Merci à Bettina Zourli pour son regard éclairé sur la pression sociétale à créer un « mini-soi ». N’hésitez pas à suivre, au-delà de cette interview, ses réflexions quotidiennes sur l’injonction à la parentalité via son compte Instagram et/ou son blog.

Elodie Pimbert
Elodie Pimbert
Journaliste « touche à tout », je suis Content Manager et rédactrice web pour le média The Body Optimist. Je m'intéresse à des sujets variés (écologie, sexualité, lgbtqia+, beauté, décoration, etc.) et ai à coeur de déconstruire les préjugés, stéréotypes et normes de notre société. Je scrute le web à l’affût des dernières évolutions et tendances. Ce n'est donc pas un hasard si j'écris et fais grandir depuis plusieurs années The Body Optimist.
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