Dans l’Histoire écrite sous la plume des dominant.e.s, il est difficile de trouver des traces de personnalités trans. De nombreuses personnes défiant les normes de genre ont pourtant apporté leur pierre à l’édifice dans la science, les arts et les sciences sociales, et ce depuis plus de 4000 ans.
Ces sources précieuses nous prouvent que la lutte pour la reconnaissance de la transidentité n’est pas un effet de mode de notre époque. Voici donc une liste -non exhaustive – de 6 personnalités transgenres à connaître, afin de mieux comprendre le mouvement actuel en Occident.
1 – Bambi, une des pionnières trans
Née en Algérie sous le nom de Jean-Pierre Pruvot, Bambi arrive à Paris dans les années 1950, à ses 18 ans. Elle trouve un moyen de « se découvrir » dans le monde du spectacle, aux côtés de Coccinelle, première personnalité transgenre en France. Sous le nom de scène de Bambi, elle devient une célèbre meneuse de revues, au cabaret Madame Arthur et au Carrousel de Paris.
Pendant une vingtaine d’années, cette femme fait partie de celles qui ont pu être un véritable modèle de réussite, à une époque où la transidentité était traitée comme un trouble mental. En 1961, elle se voit également accorder l’un des premiers changements d’état civil en France (Coccinelle étant la première).
À ses 33 ans, Bambi quitte la scène, obtient son baccalauréat et suit des études de lettres pour devenir professeure de français. À 86 ans, Marie-Pierre est aujourd’hui décorée des Palmes Académiques, élevée au grade de chevalier dans l’ordre national du Mérite, a écrit une autobiographie ainsi que de nombreux romans, et un documentaire biographique lui a été consacré, revisité en version longue en 2021. Karine Espineira, chercheuse en sociologie, associée à l’université Paris 8 et co-fondatrice de l’Observatoire des transidentités, explique à Slate :
« On doit beaucoup à Marie-Pierre Pruvot. Les personnes transgenres ont des aînées et ces aînées ont une histoire et iels peuvent nous la transmettre. »
2 – Lili Elbe, l’une des premières bénéficiaires de la chirurgie de changement de sexe
Née au Danemark avec un sexe masculin assigné à la naissance, l’artiste peintre Einar Magnus Andreas Wegener se fait opérer. Elle change de nom pour Lili Ilse Elvenes. Celle que les médias surnommeront « Lili Elbe » est l’une des premières femmes trans à subir une chirurgie de réattribution sexuelle dans les années 30. Elle était également lesbienne, en couple avec Gerda Gottlieb, une artiste danoise. Son destin est tragique, puisqu’elle décède trois mois après sa greffe d’utérus, à 48 ans.
Sa vie a inspiré Danish Girl, un roman de David Ebershoff (2000), et en 2015 un film éponyme de Tom Hooper. Cette biographie a été notamment critiquée pour avoir fait le choix de représenter une femme trans avec un acteur cisgenre.
3 – Lucy Hicks Anderson, pionnière trans afro-américaine
Lucy Hicks Anderson a toujours su qu’elle était une femme. Dans le Kentucky des années 1890, celle qui était née sous le nom de Tobias Lawson insistait dès son plus jeune âge à se faire appeler Lucy et pouvoir porter des robes. Sa mère s’inquiète et l’amène voir le docteur, à ses 9 ans. À l’époque, la transidentité était un terme inconnu. Le médecin explique à sa mère que Lucy peut vivre ainsi si elle le souhaite. Sa mère l’éduque en tant que femme.
Ainsi, Lucy s’est toujours présentée comme une femme. À tel point que personne n’était au courant de son sexe masculin assigné à la naissance. Elle continue sa vie en tant que femme, se marie. Elle devient femme de ménage, nounou, cheffe cuisinière, puis hôtesse réputée pour des personnalités importantes.
Malheureusement, elle a été « outed » (quelqu’un a fait son coming out en public, sans son accord) lors d’un examen médical. Elle est alors poursuivie en justice, accusée de parjure, de fraude, est emprisonnée. Lucy Hicks Anderson devient la première femme trans à défendre son identité et ses droits au tribunal des États-Unis. Elle est également connue pour être l’un des premiers cas documentés de personnalité transgenre afro-américaine.
« Je défie tou.te.s les médecins du monde de prouver que je ne suis pas une femme. J’ai vécu, je me suis habillée, j’ai agi comme je suis, une femme » – Lucy Hicks Anderson
4 – Marsha P. Johnson, une révolutionnaire LGBT
Née en 1945 dans l’état de New Jersey aux États-Unis, Marsha P. Johnson était une femme trans et travailleuse du sexe très active dans le mouvement LGBT. En 1970, elle fonde avec la militante trans Sylvia Rivera le STAR (Street Transvestite Action Revolutionaries) pour accueillir de jeunes LGBTQI+ à la rue. Et jusqu’à sa mystérieuse mort à 46 ans, elle donne son énergie à l’association Act Up, pour défendre les personnes séropositives et leur accès au soin.
Marsha P. Johnson est peut-être la plus célèbre des personnalités transgenres de cette liste. Cette activiste états-unienne est connue pour être à l’origine des émeutes de Stonewall, et donc de la Pride. La légende indique qu’elle aurait lancé la première brique contre les voitures de police, ce qui aurait donné le coup d’envoi aux émeutes de 1969.
Elle devient une véritable icône notamment grâce à Andy Warhol qui tire son portrait en 1974, dans sa série photographique « Ladies and gentleman », dédiée aux drag-queens. Aujourd’hui, Netflix lui a consacré le documentaire biographique « The death and life of Marsha P. Johnson », qui revient sur son parcours, et son décès en 1992.
5 – Eugène/Eugénie, nouvelle image transgenre au XIIe siècle
Au début du Moyen Âge, une certaine Eugénie apparait dans les manuscrits comme une sainte femme. Entre les Xe et XIIIe siècle, elle devient le moine « Eugène ». Puis vers la fin du Moyen Âge, Eugène est à nouveau représenté en femme. Selon l’histoire, Prothe et Hyacinthe, deux frères eunuques (et donc castrés), convertissent sainte Eugénie au christianisme. Elle se coupe les cheveux, prend un habit masculin et devient dès lors considérée comme un moine eunuque, sous le nom d’Eugène.
Il s’attire une grande renommée au sein de son monastère, grâce à son pouvoir de guérir les malades. L’Église y voue un culte si puissant que durant le procès de réhabilitation posthume de Jeanne d’Arc (1455-1456), on aurait résolu le problème de son habit masculin en faisant référence à l’autorité absolue que représentait Eugénie. Sa sainteté n’était pas mise en question.
Ainsi, l’habit de Jeanne fut validé par cette référence historique. L’expérience d’Eugène/Eugénie montre que la transidentité à cette époque ne pouvait être valorisée qu’à la seule condition d’être vécue par des personnes chastes, vertueuses, angéliques.
« Il y a aussi des saint·e.s de l’église chrétienne qui sont transgenres. On se rend même compte que, dans leur parcours de sainteté, leur transition de genre est perçue comme extrêmement positive, notamment parce que ça les rapproche de la fluidité des anges, parmi d’autres arguments théologiques », explique Lexie, militante transgenre, autrice, historienne de l’art et détentrice du compte Instagram @agressively_trans à Vice
6 – Mademoiselle Rosette, considérée comme démente
Née en 1678 sous le nom de Pierre-Aymond Dumoret, cette femme voulait se faire appeler « Mademoiselle Rosette », porter des vêtements de femmes et être préceptrice. À cause de ses habits, elle ne peut malheureusement exercer ce métier. Et ses parents, surtout son père, la rejettent.
Malgré tout, « Rosette » reste persuadée d’être une femme. Elle se fabrique de faux seins en tissu, se passe les joues à la pierre ponce pour faire disparaître sa barbe et s’inflige des baleines en fer pour affiner sa taille. Elle va jusqu’à s’enchaîner le sexe, au point de défaillir peu de temps avant sa mort, en 1725.
Si on connaît son parcours aujourd’hui, c’est surtout grâce à l’affaire judiciaire qui a suivi son histoire. En effet, Mademoiselle Rosette avait décidé de léguer tous ses biens à l’hôpital. Mais ses parents sont parvenus à casser son testament, pour cause de démence.