« Je vais devenir lesbienne si ça continue », a-t-on déjà tou.te.s déjà entendu. À force d’échecs sentimentaux impliquant la gente cis-masculine, certaines d’entre nous rêvent à des relations plus simples et limpides. Pour ce faire, la projection d’un couple avec une autre femme semble être la porte d’entrée royale vers un monde sentimental limpide et doux. Mais l’est-il vraiment ? En quoi les couples lesbiens seraient-ils exempts des problématiques de couple ? Parler de se « résoudre au lesbianisme » peut être une réflexion problématique, voici pourquoi.
Un couple, c’est un couple
Pour commencer de façon simple : un couple, peu importe qui le forme, reste un couple. La séparation des tâches ménagères continue ainsi d’être centrale. Le loyer à payer ne change pas. Et cette semaine, qui ira chercher les enfants à l’école ? Toutes ces questions inhérentes à la vie de couple existent indépendamment du genre des personnes impliquées.
De fait, si les grands bonheurs existent dans les relations lesbiennes, les grands malheurs aussi. Il est important de le rappeler pour cesser de glorifier le lesbianisme comme un eldorado où iraient se réfugier les hétérosexuelles désabusées. L’amour apporte son lot de vagues, quoi qu’il en soit.
Se dire lesbienne n’est pas un parcours sans embûche
La négation de l’auto-détermination
Quand ce n’est pas l’entourage, ce seront les médecins ou les psychologues divers et variés qui feront la remarque : « C’est parce que vous n’avez pas trouvé le bon ». Se dire lesbienne, c’est bien souvent, instantanément, se voir nier son auto-détermination. « Tu es indécise », « tu expérimentes », tant de remarques qui relient les femmes lesbiennes au genre masculin, envers et contre tout. Sans parler de l’hypersexualisation des relations entre femmes.
Ce rappel permanent de la société concernant la « nécessité » d’une relation hétérosexuelle mène parfois à des questionnements internes. Ceux-ci incitent les femmes à remettre en cause leur propre désir. Naît alors parfois le sentiment « d’anormalité » face à ce qu’on serait tenté de nommer une « hétérosexualité ratée ». Ici se trouve la source d’une difficulté de se sentir à leur place dans leur identité pour de jeunes filles se façonnant autant que pour des femmes plus âgées.
Un entourage pas toujours source de soutien
Il est vrai que dans de nombreuses sociétés occidentales, les débats autour de l’homosexualité tendent à se raréfier. Pourtant, l’homophobie est toujours belle et bien présente et réelle. Elle sait se faire insidieuse et traître.
Malheureusement, la lesbophobie ambiante créée des climats anxiogènes, voire dangereux pour de nombreuses personnes. De la famille en faisant une affaire personnelle, aux thérapies de conversion en passant par des contacts coupés courts, l’homosexualité n’est pas un pic-nique. Le coming-out – s’il a lieu – peut s’apparenter à un saut dans le vide sans aucune certitude que nos proches seront là pour nous recueillir. Donc se « résoudre au lesbianisme » peut être problématique, car c’est fermer les yeux sur des vécus. C’est ignorer la difficulté que connaissent des gens de par une identité sexuelle qu’iels n’ont pas choisie.
« Se résoudre au lesbianisme » c’est ignorer d’autres dynamiques oppressives
La démarche de vouloir s’extirper des rapports hétérosexuels balisés par le patriarcat fait sens. Quitter un schéma d’oppression plus ou moins flagrant, cesser d’exister dans l’ombre de son compagnon cis-masculin… les raisons sont diverses et sont légitimes. Mais, le lesbianisme n’est pas exempt d’autres modèles de domination.
Pourquoi les relations entre femmes seraient épargnées par les questions de race ? De capital ? Ou d’écart d’âge ? Politiquement, un couple – quel qu’il soit – se confronte et se plie selon la société dans lequel il existe. Les ménages lesbiens sont peut-être moins confrontés aux rapports inégaux femmes/hommes. Mais ils continuent malgré tout de se frotter à d’autres problématiques sociétales. Et cela mène fatalement à devoir se questionner sur ses privilèges. Peut-être que certaines personnes se sentent mieux armées pour gérer ces questions-ci. Cependant, il est naïf de penser qu’une relation lesbienne consiste en un quotidien d’amour et d’eau fraîche.
Et le lesbianisme politique, alors ?
Né dans les années 70, il se présente tel une opposition au « régime hétérosexuel ». On sort alors d’une hétérosexualité automatique et on tourne le dos à ses oppressions. Le patriarcat est moqué puisqu’il n’est plus ici question d’aucun père. Le lesbianisme politique extrait la domination masculine de l’intime.
Pour Aurore Turbiau, doctorante en littérature, il s’agit de « faire de la politique et de la théorie à partir de vécus ». On ne fait pas le « simple » choix d’arrêter de relationner avec des hommes cis. On fait le choix d’arrêter de donner du crédit à la société qui leur donne le pouvoir. Ce régime propose d’arrêter de définir les femmes par rapport aux hommes. Dans ce sens, Monique Wittig écrivait : « Les lesbiennes ne sont pas des femmes ». Son livre La pensée straight (1992) dépeint alors les contours d’un archétype « femme » qui ne se définit que par son lien avec les hommes. Et si les lesbiennes s’en émancipent, elles ne sont donc plus des femmes selon la définition patriarcale.
Le lesbianisme politique montre que la réflexion développée dans cet article ne peut être manichéenne. Mélanie Vogel, conseillère politique, commentait : « On subit la lesbophobie, on a moins de droits, on est sous-représentées partout, notre parole publique est sans cesse invisibilisée. Mais on est aussi épargnées d’une part conséquente de la domination masculine et donc d’un verrou à nos libertés ». Le lesbianisme politique est une prise de position dans l’intimité, avec ses avantages et ses limites.
Se « résoudre au lesbianisme » peut être problématique parce qu’il ne s’agit pas d’une case à cocher aisément. Le lesbianisme n’est, pour bien des personnes, pas un choix. Et cette orientation sexuelle peut se faire la source de nombreuses violences. Être/devenir lesbienne ne sous-entend pas la fin d’un calvaire romantique. En revanche, cela peut malgré tout marquer la sortie d’une norme patriarcale et donc d’un choix politique plus que sentimental.