Sur les plateaux TV, dans les séries, au centre des hémicycles politiques, dans le monde de la mode… les identités trans gagnent en visibilité. Pourtant, dans l’imaginaire collectif, la notion de transidentité reste encore floue. Les amalgames et maladresses peuvent résonner comme une véritable torture pour les personnes concernées. Sur la toile, des âmes engagées enchaînent alors les discours pédagogiques pour évincer les clichés. Pour ne pas sombrer dans une image caricaturale et désuète de la transidentité, on reprend ce flambeau instructif pour vous éclairer à l’approche la Journée internationale de visibilité transgenre le 31 mars.
« C’est juste une mode »
La transidentité existe depuis plusieurs siècles, mais c’est seulement depuis une dizaine d’années que notre société moderne la place sur le devant de la scène. Sur le marché du livre, une poignée de récits se concentre sur cette lente évolution. Certains ouvrages sont datés, mais retracent avec justesse la fastidieuse et éprouvante épopée de la transidentité. C’est le cas de « La confusion des sexes : le travestissement de la Renaissance à la Révolution« .
On y découvre l’histoire de Dumoret alias Mademoiselle Rosette qui se tient en Occitanie dans les années 1600. Un homme est persuadé d’être une femme et use de toutes les parades pour gommer ses traits masculins. Dans les rues, il brave les codes de la virilité et se vêtit de robe, il assume pleinement sa différence. Chassé, banni de son propre village et moqué par ses camarades, il s’enfuit à la campagne. Ce parcours tragique est loin d’être un cas unique.
D’autres archives mettent en lumière des personnages emblématiques à l’image du Chevalier d’Éon. Diplomate et espion de Louis XV, il a toujours maintenu des ambiguïtés sur son sexe. Bien plus qu’une simple couverture, son apparat féminin lui colle à la peau. Même son de cloche dans l’Ouest Américain. En 1908, Harry Allen, un hors-la-loi célèbre affirmait au journal Seattle Sunday Times « Je n’aimais pas être une fille. Je ne me sentais pas comme une fille et je n’ai jamais ressemblé à une fille ».
Autant d’exemples qui prouvent que la transidentité est aux antipodes de la simple « tendance ». Au 21e siècle, les paroles des personnes concernées résonnent dans toutes les sphères. Désormais, des émissions tape-à-l’œil s’emparent de ce sujet pour faire grimper les audiences. Problème : elles laissent de côté les diverses avancées historiques.
« La transidentité est une maladie mentale »
Le 13 août 2020, Byun Hee-soo, sergent-chef dans l’armée de Corée du Sud, subit en 2019 une opération de réattribution sexuelle en Thaïlande. Cette intervention chirurgicale a été mal perçue par ses supérieurs. Elle a été limogée par l’armée au motif qu’il s’agit d’un « handicap mental et physique ». Cette considération a longuement siégé dans les esprits ainsi que dans les anciens manuscrits. C’est seulement depuis le 27 mai 2019 que l’OMS a retiré la transidentité des maladies mentales. La France avait été très en avance. En février 2010, elle avait été le premier pays au monde à retirer « le transsexualisme » et les « troubles précoces de l’identité de genre » de la liste des affections psychiatriques.
À travers les âges la binarité était toujours prônée à outrance. Dès qu’on dérogeait à cette norme, l’étiquette pathologique venait se coller comme la seule justification possible. Cependant, une étude menée par des scientifiques du centre de recherche sur l’autisme de l’Université de Cambridge faisait un constat surprenant. D’après les résultats, les adultes transgenres seraient trois à six fois plus susceptibles que les autres d’être diagnostiqués autistes.
« On se rend compte de la transidentité dès l’enfance »
Il n y a pas d’âge pour faire son coming-out trans. Ces derniers temps les paroles se délient et les documentaires foisonnent. Récemment la petite Lilie siégeait en maître sur presque tous les plateaux télé. À seulement 8 ans, elle a l’impression d’être née dans un corps étranger. Ses attributs sexuels masculins ne lui correspondent pas et elle en a conscience depuis toujours. Le documentaire « Petite Fille » diffusé sur Arte en décembre 2021 se penchait aussi sur cette revendication précoce et audacieuse. On y découvrait le quotidien de Sasha, 8 ans, une enfant transgenre. Malgré leur candeur naturelle et leur insouciance, les deux enfants brandissent avec fermeté les couleurs arc-en-ciel.
À l’inverse, chez d’autres personnes, la transidentité se profile plus tardivement, soit parce qu’elle a été réprimée, soit parce qu’elle a été volontairement enfouie. L’acteur Elliot Page a fait son coming-out trans à 34 ans, sept ans après son coming-out gay. Pourtant, dès l’âge de 9 ans, il demande à sa mère si il pourra un jour devenir un garçon. Au cinéma, il enchaîne des rôles qui ne reflètent pas sa vraie nature. Ce sont les tournages à répétition qui lui ont ouvert les yeux. Fatigué de dresser une façade romantique et girly devant les caméras, il décide de mettre un terme à son mal-être. Sa transition a été une délivrance. Désormais Elliot Page est devenu une icône de la transidentité. Verdict : il n y a pas d’âge pour assumer ses choix.
« La plupart des personnes trans se prostituent »
Cette caricature tant revendiquée dans les films n’est pas valable pour toutes les personnes transgenres. Une vidéo Brut proposait une immersion au cœur de ce monde nocturne mouvementé, voire horrifiant. La reporter a posé sa caméra au Bois de Boulogne à Paris, une artère centrale de la prostitution. Ce court extrait révèle la face cachée de la Ville Lumière. Au total, près de 500 travailleuses du sexe transgenres attendraient leurs clients à cet endroit. On y découvre des témoignages glaçants et on pousse les portes de ce dangereux quotidien. Mais cette sombre réalité n’est pas une généralité.
Les personnes trans-identitaires existent dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Depuis quelques mois les mannequins trans crèvent d’ailleurs l’écran et sillonnent les podiums de grandes pointures. Dans les hautes sphères politiques, des personnalités transgenres s’affirment davantage. En France, Marie Cau est la première maire transgenre et elle entend bien cartonner aux présidentielles 2022. Au Pays de l’Oncle Sam, Joe Biden a nommé Rachel Levine, femme transgenre comme ministre adjointe de la Santé.
« La case « chirurgie » est un passage obligatoire »
L’ablation de l’utérus et des ovaires était obligatoire en France pour bénéficier d’un changement d’état civil, jusqu’au 18 novembre 2016. Cette ablation avait pour objectif de réduire les risques de cancer sous hormonothérapie à long terme. D’après cette même loi, les personnes trans devaient justifier « le caractère irréversible » de leur transition pour obtenir leur changement de sexe à l’état civil. Plus terrible encore, en 2011, le ministère de la Justice confirmait que cela impliquait la perte de fécondité.
Depuis, la juridiction a évolué. En effet, selon l’arrêt rendu le 6 avril 2017 par la Cour européenne des droits de l’Homme, « le fait de conditionner la reconnaissance de l’identité sexuelle des personnes transgenres à la réalisation d’une opération ou d’un traitement stérilisant qu’elles ne souhaitent pas subir » constitue une violation de leur droit au respect de la vie privée.
Les opérations chirurgicales sont lourdes et peuvent se révéler douloureuses. C’est un long processus, parfois épuisant. Les rendez-vous s’enchaînent, il faut passer par des psychiatres, des endocrinologues, des chirurgiens et de nombreux autres spécialistes. Alors, les personnes qui souhaitent changer de genre ont davantage recours aux traitements hormonaux. La plupart d’entre eux sont remboursés par la Sécurité Sociale, les mutuelles ou par des aides spécifiques d’organismes tels que l’ALD 31.
« La transidentité c’est comme le transvestisme »
Certains sketchs de divertissement tels que « Samantha Oups » ou « Catherine et Liliane » créent la confusion. Dans ces mises en scène, les personnages masculins se pomponnent et portent des talons aiguilles pour incarner un rôle féminin. Ce n’est que de la pure fiction. Le temps d’un tournage, ils s’emparent de perruques et autres accessoires pour susciter le rire du public. Mais une fois en dehors du plateau, ils reprennent leur voix rauque. Le transvestisme consiste à porter volontairement des vêtements du sexe opposé. Cette attitude ne s’inscrit pas dans le temps, elle est passagère. Par exemple, on peut adopter ces looks lors de soirées déguisées et s’en débarrasser le lendemain.
Une personne peut aimer « passer » dans l’autre genre momentanément, en adopter les codes tout en gardant son identité. C’est aussi le cas des drag queen. Conchita Wurst en est l’exemple type. Le vainqueur de l’Eurovision 2014 avait suscité de nombreux débats. Avec sa longue chevelure brune, sa barbe taillée au millimètres, son maquillage étincelant et sa robe pailletée, il a dénoué les tabous autour des drag queen. Ce n’est pas pour autant qu’il s’identifie comme une personne trans-identitaire.
« La transidentité n’est pas compatible avec la parentalité »
Les lois archaïques s’effacent pour laisser place à une plus grande tolérance. Mais le droit français peine à trouver un point d’entente à l’égard de ce thème considéré comme « sensible ». En septembre 2020, une femme transgenre réclamait ainsi d’apparaître comme « mère » sur l’acte de naissance de son enfant. Devant cette requête, la Cour de cassation a rendu un verdict amer. Les membres expliquent avec des termes « biologisant » que cette femme ne peut être que le père. Ils ont donc exprimé leur refus. Pourtant, la principale concernée est enregistrée avec sa nouvelle identité depuis 2011 auprès de l’état civil. Les avocats dénoncent une décision « scandaleuse » et « abjecte ».
Fin juillet, la loi bioéthique a acté l’ouverture de la PMA aux femmes célibataires et aux couples de lesbiennes, mais interdit la procréation aux personnes transgenres après un changement de la mention du sexe à l’état civil. Sur le plan médical, des progrès considérables germent doucement. Avec la démocratisation de la greffe d’utérus, les femmes transgenres pourront enfin tomber enceintes. En février dernier, une autre nouvelle inédite insufflait un vent d’optimisme chez les personnes transgenres. Ali, homme transgenre, a été reconnu parent à la naissance de sa fille Salomé, avec son compagnon François. Une première en France. Mais pour l’heure, la case adoption reste la principale option pour assouvir son désir d’enfant. Cela n’empêche pas une personne trans-identitaire d’être parent.
« Les relations familiales sont forcément conflictuelles »
Franchir le cap de la parole et oser se livrer à ses parents sur sa trans-identité reste une étape compliquée. Bien souvent, père comme mère se trouvent totalement désarmés devant ces annonces. D’abord des questions telles que « À quoi va ressembler mon enfant ? » ou « Comment est-ce que je vais pouvoir l’accompagner ? » viennent répandre une vague d’angoisse.
Mais ce courageux coming-out ne donne pas toujours naissance à des débats acerbes. Le soutien des proches est plus qu’essentiel. Les statistiques le confirment : 57 % des jeunes trans dont les parents ont été rejetés font une tentative de suicide, contre 4 % des jeunes trans qui ont des parents qui les soutiennent. Heureusement, des outils bienveillants viennent épauler les parents déboussolés. C’est le cas du fascicule rédigé par l’organisme Wikitrans qui s’intitule « 10 idées reçues sur la transidentité« . En douceur, il guide les parents sur la route de l’acceptation.
Dans les abysses d’Instagram, Lexie alias aggressively_trans donne par exemple une belle claque aux idées préconçues. Les associations telles que OUTrans, Wikitrans ou encore En-Trans sont de véritables mines d’or pour dénicher des informations précieuses. Encore en 2024, les remarques dénigrantes persistent et un grand tabou résiste. S’enrichir est le meilleur moyen pour poser un regard plus juste sur la transidentité.