Récemment, l’association des journalistes LGBTI (AJL) publiait une enquête sur le traitement des questions trans dans les médias. Si les transidentités sont un sujet de plus en plus abordé dans l’espace médiatique, ce n’est pas toujours pour le meilleur…
Des chiffres éloquents
Le point de départ de cette étude se situe dans le constat de la hausse des propos transphobes dans les médias.
« Il y a dix ans, le mariage pour tous était voté, entraînant avec lui un flot de paroles LGBTQIphobes déversées à heure de grande écoute. (…) En 2023, nous constatons que les mêmes mécanismes médiatiques sont toujours en place, désormais dirigés contre les personnes trans »
De fin août à fin novembre 2022, l’association LGBTI a analysé 21 sites de la presse française, soit 434 articles en ligne. Parmi eux, 98 avaient fait des transidentités leur sujet principal. Pour classer ces articles, l’AJL a tenu compte des critères suivant :
- Utilisation du bon prénom et des pronoms des personnes citées ;
- Absence de mégenrage ou de mention du deadname (morinom) ;
- Respect de la dignité des personnes ;
- Présence de personnes trans parmi les interviewé.e.s ;
- Mention (ou non) de personnes notoirement transphobes ;
- Mention d’une opposition entre femmes et personnes trans ;
- Mise en scène d’un danger pour les enfants ;
- Respect de la déontologie journalistique.
Cette étude révèle une amélioration certaine du traitement médiatique des transidentités. En effet, elle montre que certain.e.s journalistes considèrent désormais ce sujet comme relevant de l’intérêt public. 55,4 % des productions examinées sont « de bonne qualité ».
Néanmoins, cela signifie que la moitié restante fait preuve d’un traitement approximatif, erroné, voire irrespectueux. Un article sur quatre se révèle même antitrans. Les progrès observés restent donc fragiles.
Médias et personnes trans : les bons élèves
Grâce aux sensibilisations et interpellations de l’AJL, les transidentités sont devenues un sujet légitime dans certains médias. Ces derniers traitent ce sujet avec décence, sans faire appel au voyeurisme, à la fétichisation ou au sensationnalisme.
Les médias ne réduisent plus simplement les transidentités au sujet de la transition (avant/après), aux manifestations comme l’Existransinter ou aux faits divers. En place et lieu se tiennent des reportages, interview, portraits ou enquêtes plus poussées.
« Les transidentités sont enfin devenues un sujet digne d’intérêt d’un point de vue journalistique »
Ces entretiens n’hésitent pas à solliciter la parole des personnalités trans pour leur expertise et non pas pour évoquer leur identité de genre. Le Monde est cité à deux reprises comme étendard de ce bon comportement. Le HuffPost se distingue avec 93,8 % d’articles de « bonne qualité ».
Néanmoins, L’AJL relativise ces faits car « près d’un quart des articles étudiés viennent de l’AFP, et ce sont soit des adaptations, soit de simples copiés-collés. (…) Sans l’AFP, les proportions sont complètement différentes : seulement 49 % des articles sont de bonne qualité, et 31,5 % ont publié de grosses erreurs« .
Encore un long chemin à parcourir
Malgré des progrès tangibles, l’étude de l’AJL lance l’alerte sur de nombreux comportements perfectibles. Il est urgent et nécessaire de visibiliser avec respect et esprit critique les transidentités dans les médias.
1 – Un champ lexical mal maîtrisé
L’étude révèle notamment que le champ lexical utilisé niait la réalité des transidentités :
« Nous avons été confronté.e.s au fait que certains articles parlent de transidentités sans les mentionner et qu’il existe parfois une véritable difficulté à les nommer clairement »
Pire encore, certains médias ont toujours recours à des termes à connotation médicale ou transphobes comme « transexuel.le.s » ou « trans activisme ». Cela tient généralement du fait que les notions d’identité de genre, d’orientation sexuelle et de changement de sexe sont mal maîtrisées.
2 – L’invisibilisation des concerné.e.s
Le champ lexical n’est pas le seul mis en cause dans le traitement médiatique irrespectueux des transidentités. L’invisibiliation est prégnante dans de nombreux médias. L’étude AJL remarque que sur les 98 articles avec les transidentités comme objet, seuls 36 donnent la parole à des personnes trans.
« Et alors que sur l’ensemble des articles, 20,9 % interviewent au moins une personne trans, 34,7 % font référence à au moins une personne employant une rhétorique antitrans »
Le peu de fois où cela est fait, ce n’est qu’au travers de discours individuels. C’est-à-dire que le recours aux associations et collectifs n’est qu’anecdotique.
« Cela renforce l’impression que les personnes trans sont un phénomène isolé et n’ont pas d’organisation politique ou militante ni de revendications communes, alors même qu’elles sont souvent attaquées en tant que groupe »
Alors que les personnes trans sont peu entendues, l’association dénonce le choix des personnes à qui la parole est donnée. Qui plus est, les articles ne sont pas toujours rédigés par des journalistes. Et lorsqu’il s’agit d’essayistes, d’intellectuel.le.s ou d’éditorialistes, leur opinion est déjà faite et iels ne sont pas tenu.e.s à la rigueur journalistique. Plus besoin alors de vérifier et de soumettre les tribunes à la déontologie. Ces formats sont propices à l’approximation voire la discrimination. Alex M. Mahoudeau, spécialiste de sciences politiques le confirme,
« Des médias se structurent même autour de ça : prenez le FigaroVox par exemple. Au prétexte de faire une interview, on peut laisser des propagandistes dire n’importe quoi »
Finalement, l’enquête identifie 61 % de tribunes de « mauvaise qualité », chiffre qui atteint les 91 % pour les chroniques. Ces dernières sont justement le format privilégié des médias traitant le plus mal les questions transidentitaires (Le Figaro, Marianne, L’Express et Le Point).
3 – L’usage d’une rhétorique anti-trans
Le rapport de l’AJL montre aussi que parmi les 52 articles relayant des propos transphobes, 37 ne les contredisent pas. En effet, la méconnaissance seule ne suffit pas à justifier les écueils de la représentation des transidentités. Parfois, il s’agit clairement d’une volonté de laisser transparaître une rhétorique anti-trans.
« Nous pensons par exemple au Figaro ou à Marianne qui, de par leur traitement obsessionnel, alarmiste et peu rigoureux de ces questions, participent largement à la création de »paniques morales » autour des transidentités »
On parle d’instrumentalisation de ces sujets. Certains médias abordent la question des transidentités justement dans un but de diabolisation. On peut alors lire nombre d’inepties. Par exemple, la résurgence de la « théorie de la Dysphorie de Genre à Apparition Rapide ». Elle entend dire que la transidentité est un effet de mode. Ces médias appellent aussi des psychiatres pour pathologiser les personnes trans.
4 – Les transidentités renvoyées hors des frontières
Nombreux sont les médias français qui aiment traiter le sujet des transidentités sous un prisme international. Cela n’implique pas directement les Français.es.
« De nombreux médias privilégient ainsi l’évocation des transidentités quand elles sont à l’étranger »
L’étude est claire à ce propos : il est bon d’aborder les discriminations à l’étranger, cela ne doit pas empêcher d’analyser ses propres lois et comportements transphobes.
La culture pop, modèle de représentation
Les séries proposent de plus en plus de personnages trans à l’écran. La culture pop en général s’est emparé des transidentités pour défier la norme rigide, violente et invisibilisante des médias.
Longtemps ignorés des séries, les personnages trans commencent à être légitimé.e.s. Cette une belle avancée pour ces adolescent.e.s transgenres qui souffrent d’un déficit de visibilité dans les médias. Il est important qu’iels ne sentent reconnu.e.s par leur société.
Même si les séries ne représentent pas toujours parfaitement les transidentités, elles n’occultent pas pour autant la souffrance multiple. Sarah Sepulchre, professeure à l’UCLouvain et spécialiste des représentations dans les séries explique au média belge Focus Vif :
« Le palier intéressant sera franchi lorsqu’on aura une multiplicité de personnages trans dans des séries dont ce n’est pas le sujet central, quand on aura des parents trans, des profs trans, des banquiers trans, etc. »
Aussi, elle explique que le monde de l’audiovisuel, s’il traite des transidentités, doit se parer de personnes concernées. Elle souhaite donc que les films et séries sollicitent des réalisateur.rice.s, scénaristes, acteur.rice.s trans et non-binaires.
L’état des représentations des transidentités dans les médias est un véritable baromètre des discriminations encore prégnantes dans notre société. Malgré les efforts, il reste encore un long chemin à parcourir pour que les concerné.e.s se sentent enfin reconnu.e.s et légitimes.