Vidéos avant/après de personnes trans sur les réseaux sociaux : vraiment positives ?

Sur les réseaux sociaux, les personnes trans profitent d’une belle visibilité. Derrière leurs comptes militants, frappés du fameux drapeau bleu, rose et blanc, elles s’attèlent à combattre les idées reçues et à répondre aux questions les plus privées de leurs internautes pour éduquer les esprits. D’ailleurs, au gré d’un swipe, vous avez peut-être déjà vu passer une vidéo de « transition » où la personne dévoile son évolution physique vers son nouveau genre. Les cheveux longs se raccourcissent en dégradé, la poitrine devient un torse saillant tandis que la peau, jusqu’alors glabre arbore une barbe fournie. Ces vidéos avant/après de personnes trans sur les réseaux sociaux fascinent le grand public et s’avèrent particulièrement inspirantes. Mais ne réduisent-elles pas les personnes trans à leur apparence ? 

Les vidéos avant/après de personnes trans fleurissent sur la toile

Les personnes trans, longtemps marginalisées de la société, semblent avoir trouvé un espace d’expression privilégié sur la toile. Loin de se camoufler ou de s’auto-censurer, elles s’y affichent librement, comme elles n’oseraient peut-être jamais le faire dans la vraie vie. Les réseaux sociaux, qui prônent souvent les artifices et le « fake », sont, pour elles, des lieux d’affirmation. Certaines appréhendent même leur compte comme une sorte de journal intime en libre accès, un témoin de leur histoire personnelle. Elles partagent leurs astuces pour camoufler leur sexe apparent à travers les vêtements, dévoilent les dessous de l’hormonothérapie et abordent leurs parcours avec un axe plutôt pédagogique.

Mais les contenus qui retiennent le plus l’attention des internautes restent les vidéos avant/après de personnes trans. Elles font un carton plein sur les réseaux sociaux et battent parfois des records de vues. Le hashtag #ftmtransition (female to male) qui vaut pour la transition de femme à homme recense près de 160 000 posts sur Instagram. Sur TikTok, le succès est tel que certaines vidéos avant/après de personnes trans ont été visionnées plus d’un million de fois.

Une internaute surnommée « Goblischlong » a d’ailleurs expérimenté cette gloire. À travers une succession de photos, montée comme un film en stop motion, elle retrace ses deux années sous oestrogène. À mesure que la vidéo s’écoule, son visage s’adoucit, sa mâchoire s’arrondit, ses poils de barbe s’effacent et ses traits s’affinent. Même écho pour Luke Wesley Pearson, qui montre également la chronologie de sa transition. Ses cheveux perdent plusieurs centimètres pour devenir ultra courts, ses seins disparaissent pour laisser place à un buste plat, ses muscles gagnent du volume et sa barbe s’épanouit à vue d’œil. Une métamorphose spectaculaire et réussie qui a réuni plus de 3,7 millions de vues.

@goblinschlong

✨ two years hrt timelapse ✨ #timelapse #hrt #transition #trans #estrogen #transgender

♬ original sound – isla

Des contenus émancipateurs qui participent au bien-être personnel

Les vidéos avant/après de personnes trans ne sont pas publiées au milieu des pixels pour faire le buzz ou glaner des likes. Elles participent intimement à la construction de soi et à la quête identitaire. Pour les personnes qui en sont à l’origine, c’est un moyen de prendre du recul sur tout l’itinéraire parcouru jusqu’à cet aboutissement final. Ces vidéos, qui prennent parfois l’allure d’un album photo très confidentiel, sont un acte d’empowerment, de libération. Bien loin d’être dans l’exubérance ou la vantardise, les vidéos avant/après de personnes trans annoncent une renaissance, une réconciliation avec soi. Finalement, c’est un hommage envers soi-même, un « merci » silencieux, mais courageux.

Ces vidéos, qui rembobinent tout le fil de la transition, permettent également de se réapproprier son propre récit et d’en garder une trace indélébile. Même si elles gravitent autour du corps et font état de courbes qui se sont affûtées ou de carrures qui se sont élargies, elles documentent une croissance personnelle très précieuse. Il ne s’agit pas seulement de mettre en avant des pecs soigneusement forgés ou un décolleté bien garni, mais de faire un « point » avec soi, de dresser un bilan personnel. Les vidéos avant/après de personnes trans ont presque une fonction « thérapeutique ». Elles enterrent l’ancien « moi » pour laisser exister pleinement le nouveau.

@lukewesleypearson

Proud and visible every day 🏳️‍⚧️ #transdayofvisibility #tdov #transman #ftm #transition #transandproud

♬ Unstoppable (R3HAB Remix) – Sia & R3HAB

Mais… qui focalisent trop l’attention sur le corps et la transition

Même si les vidéos avant/après de personnes trans insufflent un beau vent de bienveillance et d’espoir sur les réseaux sociaux, elles soulèvent aussi quelques questions. D’une part, elles ont tendance à rendre l’expérience de la transition « spectaculaire » et « hors normes », ce qui peut éveiller une curiosité malsaine. Des femmes frêles et menues qui prennent la stature imposante d’un bûcheron et arborent une toison touffue. Ou des hommes massifs au visage carré qui campent une silhouette pulpeuse et affichent un minois apprêté. Ces bascules physiques assez impressionnantes peuvent vite créer un effet « bête de foire ». Les personnes trans ne sont plus considérées comme des humains à part entière, mais comme des OVNIS de la chirurgie.

Les vidéos avant/après de personnes trans cultivent aussi, malgré elles, des stéréotypes de genre sur ce que doit être un « homme » ou une « femme ». Elles réfutent la possibilité d’avoir un chibre entre les jambes et de se sentir « femme », ou à l’inverse d’avoir une poitrine visible et de s’identifier « homme ». Elles donnent à voir une représentation pas toujours « réaliste » de ce à quoi ressemble une personne trans. D’ailleurs, en France, seules 432 personnes ont eu recours à une chirurgie de réassignation en 2020 selon l’Assurance Maladie. Ces vidéos peuvent donc aussi complexer celles et ceux qui ne veulent ou ne peuvent passer sur la table d’opération ni prendre des hormones. Elles sont susceptibles de provoquer un sentiment « d’inachevé » ou pire, de raffermir une dysphorie de genre déjà latente.

« Nous devons arrêter de cataloguer toutes les personnes trans dans un seul récit particulier. Nous sommes une communauté diversifiée. Nous sommes de toutes formes, tailles, couleurs et âges et nous avons tou.te.s des expériences différentes », soutient Rhyan Hamilton, écrivaine et défenseure qui s’identifie comme une « demi-fille » transféminine au média Mic

Les vidéos avant/après de personnes trans n’en finissent pas de s’essaimer sur la toile. Certes, elles sont chargées de bonnes intentions et de symboles forts. Mais elles peuvent aussi entretenir certaines idées reçues sur cette communauté et induire en erreur des internautes peu averti.e.s. Cet intérêt soudain pour la « transition » est plus le résultat d’un « voyeurisme ».

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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