Classées d’office dans la rubrique « faits divers », les violences conjugales subissent régulièrement les dérives d’un traitement médiatique inapproprié, voire irrespectueux. Entre maladresses, jeux de mots scandaleux et déductions culpabilisantes, les médias infligent souvent une double peine aux victimes, réduisant les pires horreurs à de simples histoires de couple.
Malgré le mouvement #MeToo, le vocabulaire érigé en Une ou sur les chaînes d’info se conjugue toujours à l’imparfait. Avec un portrait si réducteur des violences conjugales, les médias dénigrent totalement la gravité du fléau. Et ce n’est pas bon signe.
Le traitement médiatique des violences conjugales, entre aberrations et victim blaming
102. C’est le nombre de féminicides recensés par l’association NousToutes entre le 1er janvier et le 14 octobre de cette année 2022. Les violences conjugales, grand bastion du quinquennat Macron, sont toujours tristement d’actualité. Pour marquer les trois ans du Grenelle des violences conjugales, le gouvernement a récemment détaillé une nouvelle batterie de mesures.
Du « pack nouveau départ » à la formation de 600 intervenants sociaux d’ici 2025, l’intérêt pour les violences conjugales commence à prendre une tournure concrète. Du moins en apparence. Car en pratique, l’horreur absolue des violences conjugales semble encore échapper à certains médias.
Depuis 2016, le compte Tumblr « les mots tuent » regroupe les articles qui minimisent ce fléau en usant d’un lexique insultant au regard des victimes. « Drame familial », « querelles ayant mal tourné », « crime passionnel »… le traitement médiatique des violences conjugales est tout sauf déontologique. En témoigne l’affaire Daval de 2017. Les médias ont tous repris en chœur les mots scandés par l’avocat du meurtrier. Lui était le « gendre idéal » tandis qu’elle avait « une personnalité écrasante ». Les Unes parlaient alors de simple « crise de couple » ou de « coup de sang ».
Ce traitement médiatique des violences conjugales trouve encore des échos en 2022. En mai dernier, le média La Montagne titrait « Le professeur était amoureux » pour évoquer la condamnation d’un homme pour harcèlement sexuel.
Les médias atténuent ainsi la responsabilité du coupable au détour de mots édulcorés et d’euphémismes insensés. En réduisant ce fléau à un sujet « lambda », les journalistes se placent du côté des bourreaux et c’est problématique. Rappelons que ces crimes vécus dans l’intimité sont la première cause de mortalité des femmes entre 16 et 44 ans à échelle mondiale.
Les violences conjugales rangées à tort dans les « faits divers »
Le terme « féminicide » a fait son entrée dans le dictionnaire Larousse en 2020. La description indique « Meurtre d’une femme ou d’une jeune fille, en raison de son appartenance au sexe féminin ». Malgré cette définition succincte, mais explicite, le mot « féminicide » peine toujours à s’écrire en lettre capitale dans les médias qui lui préfèrent une dimension plus « spectaculaire ».
Des titres racoleurs aux explications ubuesques, le traitement médiatique des violences conjugales est empreint de fausses notes. Preuve d’une approche « sensationnelle » : cette immonde réalité est étiquetée dans les « faits divers ». Ce phénomène de société se retrouve alors piégé entre des titres loufoques du style « Ils tentent de voler le petit train touristique » ou « Des policiers tombent sur plus de 14 000€… dans la litière du chat ».
« Quel message cela renvoie-t-il aux lecteur.rice.s quotidien.ne.s de ces titres ? Que les violences conjugales sont des événements un peu fous qui arrivent à des gens différents d’elleux », suppose alors Acrimed, l’observatoire des médias depuis 1995.
Les violences conjugales, abordées sous le champ lexical de l’exceptionnel, deviennent alors des sujets de buzz en or. « Ivre, il bat sa femme le jour de la Saint-Valentin », « Peine de coeur et cocktails Molotov », « ‘Ma femme ne sert à rien’ prétend le champion des baffes »… remaniées à la sauce « divertissante », ces affaires de la pire espèce perdent tout leur sens.
Et pour les 90 % de Français.es qui s’informent au quotidien, cette approche quasi théâtrale ne fait que banaliser les violences conjugales. Tous les deux jours et demi, une femme meurt sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon. L’utilisation d’une sémantique juste et sérieuse relève donc de l’urgence. Heureusement les lignes commencent à bouger.
Des guides de bonnes pratiques au sein des rédactions
En 2016, le collectif Prenons La Une qui se mobilise pour une juste représentation des femmes dans les médias publiait une Charte, déclinée en 11 recommandations. Utiliser des termes juridiques, bannir les détails sur les vêtements, éviter les leçons de morale, protéger l’identité et la dignité de la victime… autant d’indications qui permettent de changer considérablement le traitement médiatique, jusqu’alors anecdotique, des violences conjugales.
Cette Charte a d’ailleurs été signée par de nombreux grands médias tels que France Info, l’Humanité ou encore Libération. En parallèle, de plus en plus de médias font leur « méa culpa » dès qu’ils échappent à ces « règles » de neutralité et changent le titre dans la foulée. Certains comme Ouest France vont plus loin en créant des groupes de travail « égalité ».
Le traitement médiatique des violences conjugales se met doucement à la page, sans pour autant être exemplaire. L’évolution se joue aussi dans la féminisation des médias. Les femmes occupent environ la moitié des métiers du journalisme, mais seulement un tiers d’entre elles sont des journalistes dirigeantes.