Il n’est pas rare de croiser le terme « grossophobie » sur internet ou dans les articles de presse. Mais parle-t-on de la « maigrophobie » ? C’est bien moins sûr. Elle fait pourtant autant de ravages que la haine des personnes grosses. Aujourd’hui, la rédaction a décidé de faire un focus sur cette intolérance, aussi inacceptable que sa voisine. Car rappelons que confronter les deux revient à nier l’existence de l’une d’entre elles et donc, minimiser les souffrances qui en résultent. Chez The Body Optimist, notre ligne éditoriale est très claire : s’adresser à tou.te.s, sans distinction de poids ou de couleur.
« Si on est maigre, c’est qu’on le veut bien »
En parallèle du développement du mouvement body positive, on assiste à l’apparition d’une nouvelle discrimination : le « lynchage » des personnes maigres. Comme bien souvent, le bonheur des uns fait le malheur des autres. Comme le raconte Bérénice à Lexpress.fr :
« Pour la majorité des gens, mes complexes sont une forme de coquetterie. Si on est maigre, c’est qu’on le veut bien. Après tout, j’ai juste à manger plus, non ? »
En effet, la jeune femme de 30 ans a un IMC qui indique « état de famine ». Elle mesure 1m73 pour 54 kilos. Comme beaucoup d’enfants victimes de sous poids, elle a été traitée de « cadavre » ou « sac d’os » lorsqu’elle était à l’école. Selon son médecin, elle bénéficie d’un métabolisme élevé qui lui fait brûler rapidement les calories.
Depuis son adolescence, un peu à l’image des personnes grosses qui doivent justifier ce qu’elles mangent, Bérénice fait exactement la même chose :
« Je dois prouver que je mange, ma maigreur est forcément suspecte. On pense que je suis malade. Paradoxalement, lorsque j’ose parler de mon mal-être, on me répète toujours cette même phrase : ‘Tu ne vas quand même pas te plaindre d’être trop maigre ! »
Et si le souvenir des cours de sport reste douloureux pour les personnes grosses, il en va de même pour Bérénice :
« Je me souviens d’une élève qui s’était levée en plein cours de sport, devant tout le monde, pour venir mesurer le tour de ma cuisse avec ses mains. Je me suis sentie humiliée. Aujourd’hui j’ai 26 ans, j’accepte mon corps, mais j’ai toujours le sentiment de ne pas être autorisée à avoir des complexes concernant mon absence de formes. »
L’obsession de la maigreur existe, pas l’inverse
Comme le rappelle Élisabeth Azoulay dans son ouvrage « 100 000 ans de beauté » :
« La masse de gens qui font des efforts pour réguler leur poids ou en perdre est tellement importante, que lorsqu’une personne maigre ose venir se plaindre, c’est un peu comme si le gagnant du loto venait faire la manche. »
L’obsession de la maigreur existe, contrairement à l’obsession de la grosseur. C’est pour cela que les gens sont persuadés que si l’on est maigre, c’est un peu qu’on le fait exprès. Rien de plus facile que grossir : il suffit de manger. Mais cela ne marche pas comme ça. Bérénice a fait beaucoup d’efforts pour grossir :
« Mon médecin m’a prescrit des boissons hypercaloriques. Je veux prendre du poids notamment pour avoir des réserves. Je sais que c’est mauvais pour mon organisme, mais je rajoute du gras dans mes plats, parfois je vais même dans des fast-foods uniquement dans l’espoir de prendre un peu de poids. »
Elisabeth Azoulay explique :
« Si, dans l’histoire de l’humanité, nous avons connu des périodes de famine, aujourd’hui, avec l’abondance de nourriture et la malbouffe, la maladie qui nous menace est devenue l’obésité. Un basculement qui explique l’émergence du culte de la minceur poussé à son paroxysme dans nos sociétés occidentales. Nous avons désormais le luxe de ne plus avoir besoin de stocker des graisses pour survivre. »
Maigrophobie : une certaine vision de la beauté
Au début du XXe siècle, la minceur est en effet associée à la maladie, à la pauvreté. Plus tard, elle devient celle qu’on affiche dans les magazines et sur les podiums. Celle qu’il faut devenir pour être considérée comme désirable.
Depuis les années 2010, la colère gronde. Les femmes ne se sentent pas représentées et en ont assez du culte de la minceur qui influence aussi la vision des hommes. En 2016, le mouvement body positif débarque en France. On pousse les femmes à accepter leur corps tel qu’il est, à grand renfort de photos sur les réseaux sociaux.
Les artistes s’emparent aussi de ce mouvement. À l’image de la chanteuse Meghan Trainor et son titre « All about that bass » qui se veut positif, mais illustre pourtant cette rivalité mince / gros. L’acceptation des formes passant « obligatoirement » par le dénigrement des minces, décrites comme étant des « connasses maigrichonnes« . Et de les rabaisser en rappelant que « les hommes aiment pouvoir s’agripper à nos rondeurs le soir« .
De son côté, Bérénice refuse de tomber dans cette comparaison. Ce qui ne l’empêche pas de s’élever contre la non-représentation des femmes maigres dans le mouvement body positif :
« J’aimerais qu’on m’encourage à m’accepter comme je suis, moi aussi. C’est notre invisibilité qui fait naître une compétition malsaine, entre les gros et les maigres. »
Une réflexion qui n’est pas sans nous faire penser à la quasi-absence des hommes au sein du mouvement. Alors qu’ils en ont eux aussi cruellement besoin.
Le serpent qui se mord la queue
La jeune femme nuance son propos et admet volontiers évoluer dans un monde « pensé pour les personnes minces » :
« C’est forcément plus simple pour moi que pour une personne obèse. Pour exemple, je trouve facilement de quoi m’habiller et je ne suis jamais stressée à l’idée de ne pas rentrer dans un siège à bord d’un avion ou dans le métro. »
Selon Elizabeth Azoulay, ce manque de représentation des personnes maigres provient d’une sorte de culpabilité collective. Le fameux concept du serpent qui se mord la queue :
« Aussi bien dans les médias, chez les marques de beauté et dans l’univers de la mode, nous n’avons cessé de promouvoir la minceur, parfois de manière excessive, proche de l’anorexie. Ces acteurs ont participé à la fabrication de cette maladie mentale dont les principales victimes sont les jeunes femmes. »
De fait, il devient impossible pour les marques de prendre le virage de l’inclusion et de « réhabiliter » les personnes maigres en égérie. Beaucoup de chemin reste à parcourir pour combler ce fossé entre mince et gros pour nous appeler tout simplement « êtres humains ».
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