Mariages forcés en France : 200 000 femmes victimes

Alors que le mois dernier, le 8 mars, nous fêtions la Journée internationale des droits des femmes, certaines se voient toujours contraintes d’épouser quelqu’un qu’elles ne choisissent pas. Amnesty International définit le mariage forcé comme toute union, qu’elle soit civile, religieuse ou coutumière, dans laquelle au moins une des deux personnes a subi des menaces et/ou des violences pour l’y contraindre. Pratique archaïque strictement interdite depuis 1803, le mariage précoce et forcé est pourtant bien une réalité, et pas seulement à l’étranger.

En France, 12 à 15 cas de mariages forcés sont traités chaque année. Mais, selon Marlène Schiappa et le Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles (GAMS), pas moins de 200 000 jeunes femmes seraient piégées dans un mariage forcé. Et selon l’UNICEF, 82 % des enfants mariés avant leur majorité sont des filles. Des chiffres glaçants ! 

Une histoire d’origine ethnique et d’éducation

124 millions. C’est le nombre d’enfants privé·e·s de leur droit à l’éducation dans le monde, majoritairement des filles. Les raisons sont multiples : pauvreté, pratiques sexistes, traditions… et mariages forcés. En France, ils sont interdits. Avoir le choix, c’est avoir le droit de ne pas se marier et avoir le droit de dire NON. Du moins dans les faits…

Passé sous silence car considéré comme « quelque chose qui n’arrive que dans les autres pays », le mariage forcé est en effet toujours présent en France. Parmi les 70 000 jeunes filles que le Haut Conseil de l’intégration considère comme menacées d’être mariées de force au sein de notre pays, la plupart sont immigrées ou issues de familles d’immigré·e·s venant en majorité du Maghreb, de Turquie ou du Sahel. En 2011, si l’on prend l’exemple des diasporas marocaines et tunisiennes installées en France, 7,6 % des femmes entre 26 à 60 ans ont ainsi subi un mariage contre leur volonté, selon une étude de l’INED.

« Les mariages précoces maintiennent les filles dans leur statut inférieur à l’homme et ne leur permettent pas de sortir de la pauvreté. En France, c’est une pratique dont on parle peu, mais qui est bien réelle. (…) Le plus souvent, il s’agit de mariage arrangé par les parents avec un membre de la même famille vivant dans le pays dont la famille est issue », explique Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée aux Français de l’étranger, dans les colonnes d’ELLE

Cette pratique comporte un enjeu identitaire. Ainsi, aux côtés des certificats de virginité et de la polygamie, l’exécutif en a fait l’une des cibles principales de son projet de loi contre les séparatismes, ou « projet de loi confortant le respect des principes de la République ». Présenté en décembre 2020 par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et par Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté ; il a été adopté en première lecture par le Sénat le 12 avril dernier.

©Voix De Femmes

Mais comment expliquer de telles statistiques ? « Dans l’écrasante majorité des cas, ces mariages ne sont pas civils, et encore moins déclarés. Selon la communauté à laquelle vous appartenez, vous pouvez non seulement vous passer d’établissements publics, mais également d’édifices religieux. Ce qui fait qu’ils échappent aux lois en vigueur, qui interdisent notamment les mariages civils avant 18 ans », décrypte Isabelle Gillette-Faye, directrice du GAMS.

Lutter contre le mariage forcé

Malgré ce tableau, les chiffres tendent tout de même à indiquer que le recours aux mariages précoces et forcés est de moins en moins courant au fur et à mesure que les générations avancent. Ainsi, une jeune fille qui a grandi dans une famille immigrée, mais installée en France depuis plusieurs générations, a bien moins de chances de se voir obligée de prendre pour époux un homme qu’elle n’a pas choisi.

Au-delà de l’âge, de la génération ou de la nationalité, c’est aussi l’éducation qui joue un rôle fondamental dans la lutte contre cette pratique abjecte. Bien qu’elle ne soit pas un remède absolu, il a en effet été démontré, toujours selon l’INED, que des parents non scolarisés augmentaient le risque de 40 %.

En parallèle, des associations se mobilisent chaque jour pour lutter contre cette pratique. Parmi elles, Voix de femmes qui lutte contre le mariage forcé et ses conséquences, très lourdes pour les femmes. La directrice Sarah Jama explique auprès du magazine de CergyPontoise :

« Le mariage forcé c’est une violence faite aux jeunes filles, pas une pratique culturelle. C’est une atteinte à la liberté extrêmement forte. »

Pour elle, le problème est avant tout celui qu’elle désigne comme les « invisibles ». Ces femmes que l’on oublie, pour la plupart des toutes jeunes filles, a qui l’on a fait quitter la France pour les faire rompre avec leur fratrie, leurs ami·e·s et leur éducation afin qu’elles acceptent plus facilement l’union que l’on aura choisie pour elle.

« Nous fournissions un soutien psychologique. Nous aidons ces jeunes femmes à dépasser le sentiment de culpabilité lié au conflit intérieur qu’elles éprouvent souvent vis-à-vis de leur famille, avant d’établir, avec elles, une stratégie de résistance. C’est alors un travail sur mesure qui prend forme : recherche d’une solution d’hébergement, aide aux démarches, prise en charge sur du long terme (…) Les ¾ des jeunes filles qui prennent contact avec nous ne sont pas encore mariées et peuvent ainsi être sauvées avant le jour fatidique. »

©Voix De Femmes

« On me dérobe ma vie »

Bien qu’encore taboue, la question du mariage forcé avait été abordée brièvement en novembre 2020, lorsque Djaïli Amadou Amal, une Camerounaise de 46 ans, avait reçu le prix Goncourt des lycéen·ne·s. Publié pour la première fois en 2017 puis en 2020 aux Éditions Emmanuelle Collas, son roman « Les Impatientes«  couche en effet sur le papier le destin entremêlé de trois jeunes femmes à qui le choix de la personne avec qui elles passeront le reste de leurs jours n’a pas été donné.

« Sauvez-moi, je vous en supplie, on m’arrache mes rêves et mes espoirs. On me dérobe ma vie », peut-on ainsi lire alors que Ramla est emmenée, de force, par la famille de son époux. Bien que l’histoire ne se déroule pas en France, l’oeuvre met en valeur un sentiment universel de frustration. En Hindou, Ramla et Safira, chacun·e reconnait avant tout une femme, un être humain à qui on lui enlève sa liberté. Une symphonie émouvante et puissante qui nous rappelle, qu’encore aujourd’hui, en 2021, les mariages précoces et forcés restent tristement d’actualité

D’ailleurs, en Asie, la pandémie a mis dans une situation précaire de nombreuses familles ; ce qui engendrerait une hausse des mariages précoces. Selon Rolee Singh, dirigeante en Inde de la campagne 1 Step 2 Stop Child Marriage, le mariage précoce est de plus en plus courant ces derniers temps : « On a vu une augmentation des mariages de mineures pendant le confinement. Le chômage se généralise. les familles peinent à joindre les deux bouts et pensent qu’il vaut mieux marier leurs filles ».

Aucune situation ou tradition ne justifie un mariage forcé. La loi vous protège. Vous n’êtes pas responsable.

En cas d’urgence, appelez le 17 ou le 112 (depuis un portable). Il est également possible de contacter des associations comme GAMS 01 43 48 10 87 ; Voix de femmes 01 30 31 55 76 ; Voix D’Elles Rebelles 01 48 22 93 29. Un site spécifique est aussi à votre disposition, www.mariageforce.fr, qui présente une carte des endroits où s’adresser.

Léonie Bourbon
Léonie Bourbon
À travers mes articles, je vise à divertir, éduquer et inciter à la réflexion, en partageant des histoires qui touchent le cœur et l'esprit.
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