#MendorsPas : le mouvement qui alerte sur le fléau de la soumission chimique

Pendant dix ans, Gisèle Pelicot a été droguée à son insu par son mari et livrée à des hommes qui ont abusé d’elle en toute impunité. Aujourd’hui, la mère de famille âgée de 72 ans témoigne à visage découvert et fait tomber les murs de la salle d’audience pour que ce procès prenne une dimension historique. Face à elle, une cinquantaine d’hommes, qui ont tous en commun d’avoir souillé son corps, pourtant léthargique. Quelques années en arrière, sa fille, Caroline, lançait le mouvement #MendorsPas pour réveiller les consciences sur un fléau rampant : la soumission chimique. Dans l’imaginaire collectif, elle se traduit par une dose de GHB glissée discrètement dans un verre en boîte de nuit. Mais l’affaire Pelicot révèle un tout autre scénario, à domicile. Le hashtag #MendorsPas, repris massivement par des célébrités, sensibilise à ce type de violences assorti de cachets.  

Derrière #MendorsPas, une histoire qui a sidéré au-delà des frontières

Carré châtain et lunette fumée sur le nez… il y a encore quelques semaines Gisèle Pelicot était sous couvert d’anonymat et son nom ne se résumait qu’à une lettre. Désormais, le monde entier connaît son identité et les atrocités qu’elle a endurées sans en avoir conscience. En refusant le huis clos dont elle avait droit et en décloisonnant son procès, Gisèle Pelicot prend la parole au nom de toutes les victimes de soumission chimique. Elle veut que « la honte change de camp ». Le 2 septembre dernier, elle se présentait à la cour Criminelle d’Avignon, seule devant son ex-mari, qui orchestrait ses abus sexuels, et une meute de 50 co-accusés.

Avant que ce procès d’utilité publique ne s’ouvre, l’affaire avait déjà suscité un effroi national. En 2020, Gisèle Pelicot recevait un appel de la gendarmerie, lui annonçant l’impensable. Pendant dix ans, son mari la gavait de somnifères pour abuser d’elle et commanditer des viols. Son mode opératoire était simple. Il recrutait des hommes lambdas via un site internet et leur donnait des directives lors du passage à l’acte. Dans son téléphone, le retraité concentrait 20 000 photos et vidéos à caractère pornographique mettant en scène sa femme, inerte. Plongée dans un état végétatif, Gisèle était utilisée comme un vulgaire objet sexuel. Au total, 92 faits de violence sexuelle ont été recensés.

Gisèle Pelicot, qui a partagé presque la moitié de sa vie avec cet homme, soupçonnait un début d’Alzheimer. Mais elle n’avait jamais douté des intentions de son mari, qui a pourtant mis son corps à la disposition d’inconnus. À l’époque, elle était restée en marge des caméras. C’est sa fille, Caroline Darian, qui avait rompu le silence avec la campagne salutaire #MendorsPas. Dans la continuité de son ouvrage « Et j’ai cessé de t’appeler papa », elle prouve que la soumission chimique ne se pratique pas seulement en milieu festif. Elle survient d’ailleurs plus souvent entre les murs d’un foyer que sous les boules à facette…

Affaire Pelicot, un autre regard sur la soumission chimique

À l’évocation de soumission chimique, beaucoup imaginent un prédateur verser une dose de GHB dans le verre d’une jeune fille qui se déhanche au milieu d’une foule en transe. Or, cette manipulation quasi insondable n’est pas exclusive aux night clubs et aux repères de noctambules. Elle s’applique aussi à la sphère privée, dans des lieux que la plupart associent à ce sentiment de « sécurité ». À travers le mouvement viral #MendorsPas, Caroline Darian veut rétablir une vérité que la société étouffe. Entre 2021 et 2022, le nombre de signalements pour des cas de soumission chimique a augmenté de 69 %. Chaque année, 600 plaintes sont déposées pour dénoncer de tels faits.

L’affaire Pelicot dépeint une abjecte réalité, celle de la soumission chimique dans le nid familial, censé incarner le confort et la confiance. Le coupable n’est pas un homme en capuche dissimulé dans la masse qui serpente de verre en verre. C’est un père de famille somme toute ordinaire, sans problèmes apparents. « J’aimais l’image de l’homme que je croyais connaître. L’image de cet homme sain, bienveillant, prévenant« , déclarait Caroline devant celui qu’elle réduit désormais au terme « géniteur ».

Le mouvement #MendorsPas illustre la partie immergée de l’iceberg. Comme l’alerte la fille de la victime, les auteurs piochent dans la pharmacie familiale et dissimulent ces cachets à l’intérieur des repas ou du café matinal, sans éveiller le moindre soupçon. Son calvaire, Gisèle Pelicot l’a enduré sous son propre toit, dans un lit qui lui était familier. Son bourreau, le cerveau de ces viols organisés, n’était autre que son mari. La soumission chimique n’arrive pas uniquement en terre inconnue. Ce type de violences, effervescent, peut toucher les femmes, les hommes, les enfants, les nourrissons mais aussi les personnes âgées dans le but de leur subtiliser de l’argent.

Sur le banc des accusés, des « monsieurs tout le monde »

L’affaire Pelicot, tout comme le mouvement #MendorsPas froisse le mythe du « monstre » issu des bas fonds de la société. Les 51 hommes qui sont passés, sans scrupules, sur le corps stagnant de Gisèle Pelicot s’éloignent de la caricature typique du violeur. Il n’y a pas de portrait robot unique. Tous ont des profils différents. Ils ont entre 20 et 70 ans. Ils sont journalistes, commerciaux, managers, surveillants pénitentiaires. Bien installés dans leur vie et parfois pères de petite fille, ils se défendent en évoquant un « traquenard », « un jeu de couple » ou un « viol involontaire ».

Ils insistent sur l’emprise du mari, tête pensante de ces délits sexuels macabres, mais n’ont pas dit non pour baisser la braguette devant la silhouette comateuse de Gisèle. Tous partent du postulat que si lui était d’accord, elle aussi. Comme si le mari avait une mainmise sur l’intimité de sa femme. Dominique, lui aussi, cachait bien son jeu. Souvent présenté en père de famille attentionné et en mari dévoué, il n’avait rien en commun avec l’image du prédateur. Pourtant, dans son téléphone, il stockait des dossiers aux noms explicites « ABUS/Nuit du 09/06/2020 avec Charly 6ème fois », dont quelques-uns de sa fille dénudée. Cette affaire, associée au mot-dièse #MendorsPas, suscite des hauts le cœur et de la colère. Elle malmène le fameux « not all men ».

Avec le #MendorsPas, son instigatrice, qui a vu le portrait de la famille parfaite se fracasser en mille morceaux, alerte sur les ravages de la soumission chimique. Caroline Darian, qui aurait pu perdre sa mère d’une overdose, mobilise toute son énergie dans ce combat. Elle appelle à la plus grande vigilance, même avec les personnes qui comptent.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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