Period parties : célébrer les premières règles est-il si bénéfique ?

Les premières règles sont souvent vécues en cachette, scellées à double tour derrière la braguette. Elles se traversent dans la solitude la plus affligeante avec un attirail complet de protections périodiques en lot de consolation. Pourtant cet événement intime est loin d’être une simple « formalité ». Il marque le point de départ de la vie d’adulte. Les « period parties », elles, font un beau pied de nez aux tabous.

Cette tendance suggère de célébrer les premières règles publiquement avec le cercle familial ou amical pour sortir de cette « confidentialité » mal placée. Si cette fête est très plébiscitée aux États-Unis, elle enjambe les frontières et se démocratise à pas feutré en France. Mais inaugurer les premières règles à coup de cupcakes aux allures de tampon et de décorations rouge sang, est-ce vraiment libérateur ?

Period parties, qu’est-ce que c’est ?

Les premières règles signent les prémices de l’ovulation, l’entrée dans le trépidant monde hormonal. Le début d’un long chemin parsemé bien souvent de maux de ventre, de sautes d’humeur et de douleurs en tout genre. Un avant-goût de 3 000 jours de règles étalées sur en moyenne 39 ans. Rien que ça. Si en France, cette transition corporelle est plutôt accueillie avec pudeur, dans d’autres pays du globe, elle fait grand bruit.

Au Sri Lanka, ce rite de passage porte même un nom : Pooppunitha Neerattu Vizha. En Amérique Latine, les familles organisent quant à elles des « quinceañeras », une fête d’envergure qui concrétise le passage de l’enfance au statut de femme. Cependant, les premières règles brillent seulement derrière des coutumes locales très disparates. Pour nuancer ce constat, les « period parties », elles, envisagent d’en faire une fête universelle et impartiale.

Un concept né aux États-Unis devenu viral sur TikTok

Une idée ambitieuse qui a germé aux États-Unis en 2017. Tout a commencé avec une photo larguée sur Twitter. On y voit Brooke Lee, une jeune fille âgée de 12 ans entourée d’un layer cake rouge vif floqué d’un « félicitation pour tes règles » et de boîtes de serviettes périodiques. Un « anniversaire » atypique qui n’a pas échappé à la curiosité de la presse.

En l’espace de quelques jours, cette image s’est retrouvée propulsée à la Une de tous les médias américains. Sa mère, Shelly, a déclaré à BuzzFeed qu’elle avait décidé d’organiser cette « period party » pour rassurer sa fille, inquiète vis-à-vis des premières règles. Il n’en a pas fallu plus pour amorcer une révolution écrite à l’encre rouge. Et TikTok en a rajouté une couche avec un hashtag éponyme érigeant ainsi les period parties en phénomène viral.

Outre-Atlantique, les period parties se fondent désormais dans le décor. Des gâteaux imitant utérus, tampon et cup menstruel sont même en tête de gondole dans les vitrines de pâtisseries. Il faut dire qu’au pays de la démesure, les period parties ne se résument pas à un petit goûter en comité restreint, elles se pratiquent en version XXL avec la fierté en fil rouge. Malgré leur aspect « novateur », les period parties ne font que réactualiser ce que nos ancêtres faisaient déjà, de façon plus profonde et moins barbare.

Les period parties, une fête symbolique

Sous leur côté enjoué et récréatif, les period parties dégoulinent de valeurs fortes. Même si certain.e.s leur reprochent d’être insignifiantes, superficielles et inappropriées, les period parties lancent un pavé dans la mare. Elles dédiabolisent ce qui a longtemps été considéré comme impur et privé. Les period parties étalent les menstruations à la vue de tou.te.s pour briser une dangereuse omerta.

Derrière leur apparence « tape à l’oeil », elles traduisent un militantisme puissant et un message d’affirmation salvateur à échelle sociale, mais aussi individuelle. Les period parties réécrivent l’histoire des règles avec une positivité et un optimisme rafraîchissant. Traditionnellement, les premières règles sont vécues dans l’indifférence et la honte. Un scénario que les period parties tentent d’inverser avec bienveillance.

Dépoussiérer une coutume archaïque

Dans de nombreuses cultures, les premières règles sont acclamées, mais pas forcément pour les bonnes raisons. En Égypte, par exemple, elles signifient surtout que les femmes sont « opérationnelles » pour le mariage et les enfants. En Inde, les premières règles s’accompagnent d’une cérémonie de « purification » appelée rhutu sadangu comme si elles sonnaient « sales ».

Plus incongru encore, en Afrique du Sud, une grande fête est organisée en l’honneur des premières règles, mais les principaux.ales concerné.e.s doivent rester chez elles.eux pendant trois jours. Ces rituels saturés de stigmates ne font que marginaliser les personnes menstruées. Tantôt liberticides, tantôt blâmants, ils donnent un aperçu très limité des règles. À contrario, les period parties réinitialisent ces pratiques avec un regard décomplexé, juste et réconfortant.

Une façon de dédramatiser les règles

Selon une étude américaine, 73 % des personnes menstruées cachent leur protection périodique et 42 % déclarent avoir subi des moqueries ou commentaires dégradants de la part d’hommes ou de membres de leur famille. Depuis la nuit des temps, les règles font rougir la société de rage ou de pudeur. Cette réalité biologique se heurte à une frilosité infusée, en grande majorité, par la gent masculine.

Tant et si bien qu’à l’arrivée des premières règles, les ados sont contraint.e.s d’aller à l’infirmerie pour quémander une protection périodique comme iels le feraient pour un médicament. Même son de cloche à la maison. Affirmer ouvertement que les « anglais ont débarqué » relève presque de l’insulte. À en croire la société, les premières règles sont une tare à dissimuler à tout prix. Le nombre incalculable de surnoms croquignolets donnés aux règles illustre à merveille cette hypocrisie généralisée. Comme si « ragnagna » ou « coquelicot » rendaient le sujet moins « grave ».

Avec ce mutisme imposé, les ados se retrouvent complètement désoeuvré.e.s dans cette croisade rougeâtre. Le souvenir des premières règles ravive d’ailleurs plus des traumatismes que de la joie. Au lieu de traverser cette bascule entre les murs austères des toilettes, les period parties proposent d’officialiser les premières règles dans une ambiance plus conviviale et galvanisante. Une manière d’aborder cette étape charnière avec plus de sérénité et moins d’appréhensions. Les period parties donnent de l’importance à ce que la société s’attèle à museler. Elles créent un mouvement de solidarité qui met tout de suite en confiance.

Ouvrir le dialogue sur les questions intimes

Plus de 4 jeunes sur 10 ne parlent pas de sexualité avec leurs parents. Et dans le sens inverse, les parents osent rarement prendre les devants sur les questions intimes. Ces non-dits poussent les ados à trouver des éclairages dans le monde très faussé du porno. Résultat : leur construction sexuelle repose sur des bases violentes, phallo centrées et extrêmement régressives.

Cette politique du « silence » n’est donc pas la meilleure formule. En parallèle, elle condamne les ados menstrué.e.s à affronter certaines douleurs sans obtenir de réelles réponses. Ces mystères banalisent un peu plus la souffrance des femmes. Les period parties, elles, permettent de faciliter l’échange et d’éviter le malaise. En effet, elles instaurent un climat de confiance, propice aux interactions les plus « délicates ».

Cette fête est un bon prétexte pour faire l’état des lieux de tout ce qui découle des règles, de l’hygiène intime aux réflexes bien-être. C’est un rendez-vous qui scelle une complicité supplémentaire entre le parent et l’enfant. En se sentant entendu.e, l’ado viendra plus facilement se livrer sur ses aléas intimes.

Les limites des period parties

Si les period parties redonnent aux règles leur lettre de noblesse, selon certain.e.s spécialistes, elles ne sont pas toujours toutes roses. Elles ont cet aspect assez indiscret, un brin voyeuriste qui peut aussi braquer les jeunes lorsqu’iels n’y sont pas préparé.e.s. Les premières règles sont déjà très éprouvantes émotionnellement parlant.

Découvrir sa culotte complètement tâchée de sang implique quasi toujours un choc. Certes, ce n’est qu’un petit extrait d’une longue saga, mais pour les ados cette transition demande du temps. Il faut généralement attendre cinq ou six rounds pour vraiment s’y faire. Ce chamboulement corporel rend les ados à fleur de peau.

Les period parties sont donc susceptibles de réinjecter une dose supplémentaire de stress, clairement pas nécessaire. Elles peuvent aussi être vécues comme une réappropriation intéressée. Outre-Atlantique, de nombreux parents ont organisé cette fête dans le dos de leur enfant, dénaturant ainsi le réel objectif des period parties. En procédant ainsi, ils sont allés au-delà des principes même de respect. Les spécialistes mettent donc de gros guillemets sur les period parties et conseillent de les organiser après concertation avec l’enfant, au risque de fermer une porte pour toujours.

« Les period parties fonctionnent pour certaines filles, mais pour d’autres, elles sont horribles. Plusieurs jeunes adultes m’ont dit que leurs parents leur avaient organisé une period parties et que c’était l’une des expériences les plus horribles et les plus mortifiantes de leur préadolescence », explique la thérapeute Jill Whitney au média Parents.com

Alors que le gouvernement esquisse l’idée d’une possible gratuité des protections périodiques réutilisables, les period parties, elles, se chargent de graver les menstruations dans le marbre. Elles normalisent ce que l’opinion publique pense grossier. En attendant, les règles nous privent de 36 jours de vie sociale par an. Les period parties rattrapent donc à l’avance, ce temps gâché.  

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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