Si l’amitié se forge généralement dans des lieux décontractés et informels, elle peut aussi naître autour de la machine à café du boulot ou d’un PowerPoint. Les collègues ne sont plus seulement des partenaires de travail que l’on salue à la va-vite le matin. Ce sont nos doubles, nos alter ego du monde professionnel. Ce fidèle binôme de cœur que l’on élit au feeling devient peu à peu notre repère dans l’entreprise. Mais cette amitié au travail est-elle suffisamment armée pour résister au commérage, à la rivalité et aux autres obstacles de l’open space ? Pas si sûr…
Une proximité qui favorise l’amitié
Nous passons entre 35 et 40 heures par semaine « aux côtés » de nos collègues (en présentiel ou en télétravail). C’est presque autant que les moments en famille. Inévitablement, notre lieu de travail devient un peu notre deuxième maison et nos collègues, des acolytes. Forcément, dans le lot, il y en a qui préfèrent se la jouer prudent, en gardant le casque vissé sur la tête et en prenant leur déjeuner depuis leur bureau.
Cependant, rester enfermé.e entre quatre murs, à partager des revers et des victoires à longueur de journée, ça rapproche. La machine à café, elle, est le point de départ de tous les liens. Les conversations y sont plus libérées et intimistes qu’au milieu de l’open space, où il faut presque un mégaphone pour se faire entendre. Même écho pour les pauses du midi qui aspirent naturellement à la convivialité. Les travaux d’équipe, eux, cristallisent un peu plus cette connivence et offrent des occasions de mieux se connaître.
L’amitié au travail est presque une évidence. Toutefois, elle est plus pudique et ambiguë que les autres. En général, elle se cantonne au cadre professionnel, voire à quelques afterworks dans le bar du coin, mais rien de plus. Nous n’imaginons pas nos collègues proches venir prendre un verre chez nous ou partager notre brunch du dimanche. En revanche, nous sommes capables de rester à un poste qui ne nous reflète plus simplement pour ne pas perdre ces précieux collègues. L’amitié au travail n’est donc pas un mythe, mais elle s’articule différemment.
Les bienfaits avérés de l’amitié au travail
Si l’amitié au travail sonne parfois périlleuse ou impossible, elle est pourtant source de bien-être. Elle nous donne une raison de nous lever chaque matin et nous booste dans nos missions quotidiennes. C’est un peu la récompense au bout du couloir, l’énergie drinks des « jours sans », le carburant de l’esprit. Si les vieux adages prétendent qu’il faut tracer une frontière claire entre sa vie personnelle et professionnelle, un sondage Wildgoose vient revoir la copie.
Selon cette enquête, 57 % des personnes interrogées pensent qu’avoir un.e bon.ne ami.e au travail rend leur journée plus agréable. Pour cause, lorsque les collègues revêtent l’habit de l’ami.e, iels sont de vrais soutiens émotionnels et moraux. Ce sont tour à tour des épaules capables de nous relever et des oreilles qui savent écouter. L’amitié au travail instaure une présence rassurante qui réduit le stress, limite les burn-out et stimule l’engagement dans l’entreprise.
Parfois, elle se hisse comme un rempart dans une ambiance toxique. Patron.ne aux airs de dictateur.rice, heures supplémentaires imposées, mais non rémunérées, erreurs non tolérées, usage de la terreur ou de l’intimidation pour accroître le rendement de l’équipe… Ces traumatismes vécus au collectif font le terreau fertile des liens affectifs. On ne se sent plus seul.e dans l’adversité.
L’amitié au travail n’a pas forcément un socle négatif, elle peut aussi s’affirmer autour de taquineries, de blagues et de fous rires spontanés. Quoi qu’il en soit, cet esprit de camaraderie insuffle un peu de légèreté dans cet environnement sérieux. Même si l’amitié au travail n’est pas une obligation absolue, elle vaut toutes les tasses de café et tous les anxiolytiques du monde.
Une amitié plus délicate que les autres
L’amitié au travail est pérenne à condition qu’elle soit équilibrée et sans équivoque. Le milieu professionnel impose de mettre l’affect et les ressentiments de côté. Un exercice compliqué lorsque la personne qui travaille en face est comme un membre de notre fratrie. C’est d’autant plus le cas quand notre plus cher.ère allié.e est notre « n+1 », soit notre supérieur.e hiérarchique. Les autres collègues s’empressent alors de dénoncer un certain « traitement de faveur » ou un comportement « intéressé ».
Certains sujets comme l’augmentation de salaire ou les possibles évolutions de carrière deviennent également plus sensibles. Et si des tensions surgissent, elles sont susceptibles de se répercuter sur la dynamique et l’harmonie de l’équipe. Ce qui induit forcément une ambiance de travail plus pesante.
Cultiver une amitié au travail c’est aussi faire tomber cette cloison cruciale entre vie privée et vie professionnelle. Il n’est donc pas rare que les conversations personnelles se distillent dans les entrevues formelles et vice versa. Les attentes peuvent devenir floues, ce qui peut créer des malentendus ou des frustrations. Par exemple, si l’autre se repose entièrement sur nous dans un projet mené en duo, on aura tendance à prendre sur nous pour ne pas gâcher cette complicité.
Nous aurons également plus de dévotion et d’empathie pour ce.tte collègue « prémium ». Nous serons donc plus indulgent.e s’iel nous sollicite pendant nos vacances ou nous demande un dossier en plein milieu du week-end. Sans limites, cette amitié au travail peut très vite ronger notre espace personnel.
L’amitié au travail, à double-tranchant
L’amitié au travail éveille toujours les doutes de la sincérité. Est-elle honnête ou complètement frauduleuse ? Une question qui peut rapidement être élucidée avec quelques situations concrètes. Si vous avez reçu une promotion et que votre collègue préféré.e commence à pester contre vous et inventer des potins, c’est que votre amitié est factice. À l’inverse, s’iel vous félicite et vous accorde tous les mérites, c’est qu’elle est robuste.
Même son de cloche si vous avez raté votre présentation PowerPoint. Si votre collègue saisit cette occasion pour vous voler la vedette, c’est qu’iel vous considère seulement comme un vulgaire pion. À contrario, s’iel se montre encourageant.e et motivant.e, c’est qu’iel est vrai.e dans ses actes. L’amitié au travail est régulièrement parasitée. Mais si elle ressort indemne de chaque défi, c’est qu’elle est vouée à un bel avenir.
Alors que la rivalité et la course à la productivité gangrènent le monde professionnel, l’amitié au travail s’érige en belle lueur d’humanisme. Certes, elle est aussi fragile que de la porcelaine et porte les fissures d’un univers impitoyable, mais elle a beaucoup de valeurs pour notre moral. Et lorsque ce.tte collègue plie ses cartons, c’est un aussi douloureux qu’une rupture amoureuse.