Le projet « bonne figure » de Camille Crucifix mêle portraits photographiques avec témoignages intimes de femmes en vidéo. Au saut du lit, elles racontent la fois où elles ont dû faire « bonne figure », alors qu’elles n’en avaient aucune envie. Des moments qui leur sont restés au travers de la gorge. Son objectif ? Dénoncer les injonctions sexistes faites aux femmes, de toujours taire leur souffrance. Cette série de portraits permet également d’échanger au plus grand nombre des vécus communs, et de s’en affranchir. Ces œuvres multimédias sont toutes les résultats d’une société encore profondément marquée par des mécanismes de domination.
Des regards inévitables
Lorsqu’une femme vit un épisode blessant, voire traumatisant, on lui demande souvent de « faire bonne figure ». De ne pas en faire tout un drame. Parfois, elles s’autocensurent. En discutant en soirée avec ses copines, la photographe Camille Crucifix s’est rendu compte que leurs histoires méritaient toutes d’être écoutées. Et plus elles se confiaient sur leurs épisodes difficiles, plus les langues se déliaient. C’est donc « assez naturellement » que l’idée de son projet est venue.
« Quand on s’arrête, qu’on prend du recul sur ces échanges-là, c’est troublant de réaliser qu’on a toutes vécu des expériences similaires qu’on n’aurait jamais dû vivre », explique la photographe à Flair
Ainsi, Camille a décidé de demander à ses copines qu’elles dévoilent leurs histoires intimes à nouveau. Mais cette fois sous l’œil de sa caméra. À première vue, on peut se demander ce qu’il se trame derrière les regards pesants de ces femmes. La jeune photographe explique que son travail aborde les émotions jugées négatives. Elle souhaitait qu’en regardant droit dans l’objectif, les regards de ces femmes deviennent « inévitables ». Que le public comme les sujets photographiés affrontent ces regards.
« « Bonne figure » est un projet qui mêle photographie et écriture. Je photographie des femmes ou des personnes qui s’identifient comme telles. Je leur demande de me décrire un moment où elles ont fait bonne figure. Un moment qui leur reste un peu en travers de la gorge, qui n’était pas ok », explique également Camille
Des « bonnes figures » face aux systèmes de domination
La photographe, photojournaliste et animatrice de podcast Camille Crucifix a pensé le projet « Bonnes figures » dans une démarche féministe. Les expériences partagées par ces femmes leur permettent d’assumer des vécus difficiles, parfois après des années de silence. L’exercice artistique les pousse alors à reprendre un certain pouvoir, en se réappropriant leur récit. Et en se racontant ainsi, « elles prennent elles-mêmes au sérieux leur propre narration ».
« Les histoires que je récolte sont très plurielles, mais je peux souvent trouver un fil rouge à travers ces histoires, qui sont toutes finalement liées aux systèmes de domination. On parle beaucoup de sexisme, d’agressions sexuelles, de grossophobie, de racisme. Il n’y a pas de hiérarchisation entre les histoires : ces femmes viennent avec leurs propres souvenirs et me les racontent. », développe Camille, toujours au magazine hebdomadaire belge Flair
Une chambre à soi
Si la photographe a choisi la chambre comme fond pour la plupart de ses portraits, ce n’est pas un hasard. C’est un espace intime et privilégié, où l’on peut réfléchir au calme, sans interaction avec l’extérieur. Selon la photographe, la chambre est aussi l’endroit choisi par ses modèles lorsque Camille leur demande où elles se sentent le plus à l’aise.
Pour prendre ses clichés, elle demande à quelle heure se réveillent ses copines pour aller les voir au saut du lit. Elle leur demande tout de suite de repenser à l’évènement en question en fixant l’objectif. Ensuite, elle réalise un enregistrement audio de leur récit.
« Personnellement, je vis mes moments les plus intimes et vulnérables dans ma chambre. C’est mon cocon. J’avais envie de retrouver ça. Elles m’ouvrent leur porte. Inviter quelqu’un dans sa chambre, c’est une marque de confiance. Et le matin, c’est une nouvelle journée qui commence, on n’a pas encore été confronté au monde extérieur. On est encore dans nos draps : c’est un moment très précieux, brut », explique la photographe
Finalement, « Bonne figure » constitue un véritable projet multimédia : swipez à droite sur son compte Instagram pour avoir un extrait de chaque expérience vécue. Ou bien, rendez-vous sur le site web de l’artiste pour écouter l’intégralité des témoignages.
En fixant le regard de la femme photographiée, cela provoque une sensation d’immersion dans l’intimité de chacune. C’est assez prenant.
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