Chaque jour, 254 femmes sont victimes de viol ou tentatives de viol. Mais de nombreux obstacles les retiennent dans leur quête de justice. Après avoir franchi douloureusement la porte des commissariats, elles se heurtent à des procédures juridiques poussives et coûteuses. Beaucoup d’énergie dépensée et de larmes versées pour que ces affaires soient finalement classées sans suite. Un cas de figure qui fait d’ailleurs souvent la Une de l’actualité. Récemment, l’enquête sur le Youtubeur Norman Thavaud, accusé de viols et de corruption de mineurs, a été abrégée au motif que « les infractions étaient insuffisamment caractérisées ». Les plaintes pour viol n’ont jamais vraiment de dénouement, elles finissent quasi toujours classées sans suite. Mais pourquoi un bilan aussi expéditif et si peu de sanctions ? Le problème se situe-t-il à la racine des tribunaux ? Éclairage sur un « silence » juridique qui pèse lourd sur les victimes.
Des cas médiatisés qui reflètent une sombre réalité juridique
Des plaintes pour viol classées sans suite font régulièrement les premiers titres, notamment lorsqu’elles impliquent des personnalités publiques. Le dernier exemple en date concerne l’affaire Norman Thavaud. Le Youtubeur au 11 millions d’abonné.e.s a essuyé de pleine face la force de frappe du mouvement #MeToo. Sept jeunes femmes avaient porté plainte contre lui pour viols et corruption de mineurs.
L’une des plaignantes avait d’ailleurs exposé sa version des faits sur les réseaux sociaux dès 2020. Selon ses dires, l’humoriste de 35 ans aurait abusé de sa notoriété pour lui soutirer des photos dénudées et obtenir des vidéos à caractère sexuel. À cette époque, la jeune fille n’était pas encore majeure. Une enquête publiée par le média Urbania en 2021 mettait également en relief des accusations similaires tenues par d’autres femmes.
Des chiffres effarants
Mais le verdict juridique ne leur a pas donné gain de cause. Le 11 octobre dernier, l’enquête a été classée sans suite. Les qualifications de viol et d’agression sexuelle n’ont pas pu être retenues par le parquet. Une autre affaire visant Patrick Poivre d’Arvor, présentateur TV phare des années 80, a connu la même sentence, faute de « preuve » ou à cause du « délai de prescription ». Pourtant, 8 plaintes avaient été déposées à son encontre et une vingtaine de témoignages faisaient état de comportements sexuels répréhensibles.
Les plaintes pour viol classées sans suite s’illustrent bien au-delà de ces coups d’éclat médiatiques. Même si elles attisent les doutes d’une immunité savamment orchestrée, c’est un raccourci que la justice prend régulièrement. Selon les statistiques, plus de 78 % des affaires concernant des plaintes pour viols, agressions sexuelles et harcèlement sexuel ont été classées sans suite en 2021. Plus assourdissant, seulement 1 % des viols sont condamnés. Entre un système judiciaire toujours plus sourcilleux et un droit empreint de sexisme, les victimes peuvent rarement envisager une reconstruction personnelle sereine.
Une définition du viol encore ambiguë
Même si la définition du viol a été remodelée de nombreuses fois, elle garde la même teneur et reste assez rigide. Selon l’article 222-23 du Code pénal « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ». Elle se situe donc du point de vue de l’auteur, mais pas celui de la victime. Elle met en exergue un comportement « présumé » et dénigre les autres cas qui s’éloignent des rapports de force. C’est en quelque sorte la parole de l’auteur contre celle de la victime. Deux perceptions se font face.
Cette définition omet également la notion cruciale de « consentement libre, totale et éclairée ». En résumé, elle sous-entend que si une femme n’a pas manifestement dit « non » ou exprimé son désaccord, alors elle validait l’acte. Ce qui donne d’ailleurs lieu au « victim blaming », un revirement des rôles qui pousse la victime à se sentir coupable. La justice néglige également le mécanisme de « sidération » qui immobilise une victime sous la frayeur, mais aussi les jeux de manipulation. Elle aborde le sujet en surface, sans creuser plus loin que la brutalité du geste.
Si les plaintes pour viol sont classées sans suite, c’est peut-être à cause de cette définition très simpliste et restrictive qui se concentre sur la manière dont le viol a été commis plutôt que sur le ressenti de la victime. À ce traitement juridique étriqué s’ajoute le manque criant de « preuves ». Un viol est généralement vécu dans un cadre feutré, à l’abri de tous témoins, ce qui corse la véracité d’un témoignage. Les auteurs peuvent donc réécrire l’histoire à leur avantage et minimiser leur acte en édulcorant les intentions de la victime.
Un droit construit sur des fondations sexistes
Les plaintes pour viol classées sans suite semblent traduire un désintérêt cinglant envers les violences sexistes et sexuelles. C’est comme s’il s’agissait d’un « débarras » ou d’une porte de sortie « facile » pour la justice. Le terme lui-même sous-entend que ces affaires n’ont pas suffisamment d’impact pour être traitées en profondeur. Alors plutôt que de stagner dessus, les enquêteurs les bouclent pour s’en délester. Du moins, c’est l’hypothèse qui vient directement à l’esprit. De manière plus large, la justice est elle aussi aveuglée par le sexisme et tous les « stéréotypes » qui vont avec.
Dans les plaidoiries, « l’immunité de la robe » laisse un champ de tir à des « défenses » sexistes qui peuvent faire pencher la balance. Les questions qui gravitent autour de l’apparence ou de la longueur des vêtements sont encore récurrentes. Elles infligent une « double peine » à la victime alors obligée de se justifier sur des détails incohérents. Ces moyens de pression intervertissent souvent le viol en agression sexuelle, ce qui minimise considérablement la déposition originelle de la victime.
Le droit, seule délivrance pour les victimes de viol, baigne dans un sexisme ambiant. La page Facebook Paye ta robe s’attèle d’ailleurs à le démontrer à travers des témoignages de femmes qui ont un pied dans la justice. En interne, ces mesdames sont régulièrement moquées, rabaissées et décrédibilisées par leurs homologues. Une mentalité masculiniste perfide susceptible de se répercuter dans les pratiques juridiques. Comment une justice peut-elle être impartiale lorsqu’elle hisse les hommes en « ténors du barreau » et les femmes en vulgaire « jaffette » ?
Le coût exorbitant d’une plainte pour viol
Les plaintes pour viol classées sans suite avortent un combat symbolique. Ce statut juridique « nul » engloutit des mois d’efforts psychologiques, mais aussi de sacrifice financier. Selon une simulation d’un rapport publié par la Fondation des femmes, le coût d’une telle procédure judiciaire s’élèverait à 10 657 €. Lorsqu’une victime dépose plainte, elle doit assumer des frais parfois excessifs pour muscler son dossier en cas de procès.
Consignation, huissier de justice, frais d’avocat, prix du recours en appel… autant de dépenses parallèles qui se dévoilent à mesure de l’itinéraire juridique. Même si des aides sont disponibles, elles ne comblent pas ce gouffre financier. Entre digression administrative, définition médiocre du viol et coûts monstrueux, la justice ne fait rien pour faciliter le parcours juridique des victimes.
Les plaintes pour viol classées sans suite reflètent ainsi des rouages juridiques encrassés par le patriarcat et engorgés jusqu’au cou. Cette décision « éclair » est un pas en arrière pour les victimes qui doivent alors composer avec un agresseur errant. Pourtant, elle fait tristement office de norme.