Les PMU nouvelles forteresses contre le harcèlement de rue ? L’idée ne passe pas

Suivies, sifflées, accostées avec insistance… les femmes qui se sentent menacées sur le bitume peuvent déjà se réfugier en lieu sûr, au cœur de boutiques arborant la cocarde « Ici, demandez Angela ». Mais bientôt, elles pourront aussi pousser la porte des PMU pour se mettre à l’abri des prédateurs. Bien que ce ne soit pas les endroits les plus « rassurants » du paysage urbain, les bar-tabacs ambitionnent, à leur tour, de devenir des « safe places ». Cette idée qui émane d’un partenariat entre la FDJ et l’application Umay fait tiquer les associations féministes. Il faut dire que même si elle part d’une bonne attention, elle semble un peu lunaire. Les PMU, souvent dépeints comme le QG des hommes beaufs, sont-ils vraiment aptes à lutter contre le harcèlement de rue ? L’initiative ne fait pas l’unanimité.

PMU en rempart contre le harcèlement de rue : d’où vient l’idée ?

Le harcèlement de rue est un fléau encore actuel. Mais parfois mettre son téléphone à l’oreille, changer de trottoir et accélérer le rythme de marche ne suffit pas à écarter le danger. Alors les femmes peuvent se calfeutrer derrière les murs de boutiques refuge. Pharmacie, magasin de prêt-à-porter ou encore supermarchés, la liste est en passe de s’allonger davantage. Dans un futur proche, les femmes pourront aussi se faufiler dans une autre cachette, visible en un coup d’œil par son cheval sur fond vert et présente à chaque coin de rue.

Aller dans un PMU pour échapper au harcèlement de rue n’est pas une mauvaise blague, mais une initiative très sérieuse, sur le point de se concrétiser. Tout est parti d’une collaboration entre la Française des Jeux et l’application Umay, révélée le 7 mars 2024. Ensemble les deux entités souhaitent transformer le célèbre réseau de bar-tabac presse en « lieu refuge ». Elles ont déjà fait le test grandeur nature à Nantes et à Lille et les résultats se sont avérés plutôt concluants.

Dans cette perspective, le mastodonte national de la loterie et des jeux de grattage va proposer aux 29 000 commerçants présents sur le territoire d’adhérer, ou non, à ce titre de « safe place ». Ce sera sur la base du volontariat. Les personnes qui souhaitent prendre part au projet seront formées pour offrir la meilleure hospitalité aux victimes. Si la présidente de la FDJ y voit une « utilité indéniable », les associations féministes restent sceptiques. Intégrer les PMU dans la lutte contre le harcèlement de rue est un non-sens selon elles.

Les associations féministes, pas tout à fait convaincues

Dans l’imaginaire collectif, le PMU est un milieu campé par les hommes. Ces messieurs s’y retrouvent pour jouer au tiercé, boire des ricards bien serrés et se projeter des plans sur la comète devant le pactole du moment. Les femmes s’y font très rares. Elles s’y rendent seulement de façon furtive, pour récupérer un colis ou acheter des cigarettes. Mais en général elles ne s’attardent pas et ne se sentent pas vraiment à leur aise.

Alors forcément, les PMU ne sont pas les premiers lieux qui viennent en tête pour s’extirper du harcèlement de rue. D’ailleurs, c’est ce que fustigent les collectifs et associations féministes qui craignent que cette initiative aggrave les violences sexistes et sexuelles. Dans un communiqué publié vendredi 8 mars sur X (ex-Twitter), Women for Women France (WFWF) soulignait le climat hostile des PMU à l’égard des femmes.

« À la fois lieux de débit de boissons et fournisseurs de jeux d’argent, les bars-tabacs ne constituent en aucun cas des espaces refuge. Ils sont fréquentés majoritairement par des hommes et favorisent la consommation d’alcool et les jeux de hasard. Il s’agit là de conditions qui augmentent le risque de violences sexistes et sexuelles », pointait l’ONG

La plupart des organismes qui soutiennent la cause des femmes estiment que ériger les PMU en rempart contre le harcèlement de rue est d’une profonde incohérence. Le collectif féministe #NousToutes a aussi partagé ses doutes quant à la viabilité et la logique de cette initiative. « C’est bien de faire des « safe place » partout, mais il faut que ce soit bien fait », a déclaré Amy Bah, présidente de l’antenne de Lille au micro de l’AFP.

Côté grand public les réactions sont similaires. Sur X, les internautes n’ont pas tardé à enfourcher leur clavier pour dénoncer cette initiative. « Idée hors sol », « le PMU est un repère de harceleurs », « des lieux où il y a 70 mecs à l’intérieur »… peut-on lire.

Des suspicions de féminisme washing

Ce n’est pas un scoop, les PMU ont plus tendance à faire fuir les femmes qu’à les attirer et à leur procurer un sentiment de sécurité. Pour les principales concernées, ils s’apparentent davantage à un piège ouvert qu’à un lieu de confiance. Ces endroits, qui appellent par ailleurs à tous les vices, suintent de masculinité. Entre Jean-Michel qui dégrade ouvertement sa femme, Bernard qui ne tient même plus sur son tabouret et Manu qui enchaîne les blagues grivoises, difficile de se faire une belle image de la « safe place ».

Alors que la FDJ ne cesse d’étoffer son champ d’action et ses services, les associations féministes s’interrogent sur les intentions camouflées derrière cette initiative. Elles se demandent si elle est vraiment honnête ou si elle sert un simple intérêt financier. Leur flaire les pousse à croire que la FDJ surfe sur la cause des femmes pour gonfler ses ventes et dépoussiérer un peu le cliché du camp de base de poivrot. Et si hisser les PMU en refuge contre le harcèlement de rue n’était pas un moyen de se mettre ces mesdames dans la poche ? C’est la question que s’est posée Amy Bah.

​​« On se demande s’il n’y a pas de « féminisme washing » (communication des entreprises qui récupèrent le combat des femmes pour mieux vendre leurs produits ou améliorer leur image, ndlr) derrière de la part de la FDJ. Il faut prendre cette initiative avec beaucoup de précautions, on va voir comment se passe l’expérimentation », soutient-elle

Transformer les PMU en bastion contre le harcèlement de rue est assez positif sur le fond. Mais dans les faits, les femmes risquent plus de s’exposer au sexisme ordinaire et à une misogynie ambiante qu’à une réelle main tendue. Les paris sont lancés. 

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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