Le travail du sexe ne concerne pas uniquement la prostitution « physique ». Avec le confinement, la prostitution en ligne explose et les jeunes s’engouffrent dans la faille. On ne parle alors plus de « travail du sexe » mais bien de proxénétisme, voire de pédocriminalité. Zoom sur cet inquiétant phénomène de société.
« Tout peut se passer derrière un écran »
14 plaintes en 2013 contre 60 en 2021. À Paris, en neuf ans, le nombre de plaintes de victimes mineur.e.s de proxénétisme a augmenté de 300 % selon une information RTL. En cause, une explosion du travail en sexe en ligne notamment pendant et à cause du confinement. Les proxénètes et/ou pédocriminels approchent leurs jeunes victimes, souvent des filles, sur les réseaux sociaux et leur proposent de faire des webcams ou de diffuser des photos d’elles nues. Naïvement, elles se sentent protégées par leur écran et acceptent.
Le procédé est un peu près aussi simple que pour s’inscrire sur n’importe quel site internet. Pseudo, couleur de cheveux, rapide description. Personne ne vérifie l’identité de ceux/celles qui s’inscrivent sur ces plateformes. La boucle est bouclée. En quelques heures, les adolescent.e.s reçoivent les premiers messages d’hommes intéressés, souvent bien plus âgés. Il.elle.s sont désormais prises au piège dans un réseau de prostitution, de proxénétisme et/ou de pédocriminalité.
Ne subissant pas toujours d’abus physiques, les victimes n’ont souvent même pas conscience de l’être. Pourtant, il serait faux de croire que la prostitution en ligne n’a aucun effet sur ces adolescent.e.s en construction. Notamment sur leur estime d’eux.elles-mêmes.
« Aujourd’hui, dans notre propre chambre, il peut nous arriver des choses bien plus graves qu’en sortant dans la rue. Tout peut se passer derrière un écran », déclare Marion, une jeune prostituée de 15 ans pour France Info
Un phénomène qui inquiète grandement. Actuellement, les associations estiment qu’entre 10 000 et 15 000 jeunes sont concerné.e.s, la plupart étant âgé.e.s d’une quinzaine d’années.
Face à cette dangereuse montée du phénomène, le gouvernement commence à se mettre en route pour le contrer. À l’automne 2021, il a lancé un plan de lutte contre la prostitution des mineur.e.s de 14 millions d’euros. Une campagne de sensibilisation doit, elle, débuter en mars prochain.
Prostitution des mineur.e.s : modus operandi
Non, la prostitution n’arrive pas comme ça, par hasard. Il y a toujours des « signaux d’alerte » comme l’explique la sociologue Hélène Pohu interrogée par Libération. Les adolescent.e.s pris.e.s pour cibles ont souvent subi des traumatismes préalables. Les fugueur.se.s sont par exemple des prises de choix pour les proxénètes et/ou pédocriminels. La série de TF1 intitulée Fugueuse, diffusée en septembre, éclairait particulièrement bien cet aspect.
Le besoin rapide d’argent est aussi une raison majeure. Dans les histoires courtes de la série Elite sur Netflix, on se rappelle par exemple de l’urgence économique dans laquelle s’est trouvé Samuel, qui, bien que l’acteur soit plus vieux, est seulement un lycéen. La seule solution qu’il trouve alors est de monétiser des clichés intimes de lui sur une plateforme équivalente à OnlyFans.
Le film Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin, disponible sur Netflix, est lui aussi un très bon exemple des mécanismes qui font basculer les mineur.e.s dans la prostitution. Lorsque Zachary se prend d’affection pour Shéhérazade, une toute jeune fille qui se prostitue pour vivre, il décide de la protéger ainsi que toutes les filles du trottoir en l’échange d’un peu d’argent. Il devient alors sans vraiment en prendre conscience un proxénète. Et c’est le cas dans la vie réelle. La plupart du temps, les proxénètes ne sont pas beaucoup plus âgés que les jeunes filles. La vingtaine à peine quand ils ne sont pas eux aussi mineurs.
Une histoire d’amour bouleversante entre deux enfants ni tout à fait coupables, ni tout à fait innocents qui restera longtemps dans vos mémoires. À la rédaction on a toujours en tête cette image ô combien terrible de la petite Shéhérazade suçant son pouce recroquevillée sur elle-même avec son doudou dans les mains alors qu’elle vient de donner son corps à des inconnus. Un drame qui fait grandement réfléchir…
Contrairement au credo collectif, les victimes ne sont pas des cas isolés ou de jeunes adolescent.e.s perdu.e.s d’avance. Suivant quasiment toujours les mêmes codes, la prostitution des mineur.e.s est donc un phénomène auquel il est plus que nécessaire de donner de la visibilité. On ne lutte jamais mieux que contre quelque chose qu’on connait bien.