Cousine éloignée de la « positivité toxique », la résilience toxique est le nouveau mal qui gangrène le monde du travail. Même si pour les employeur.se.s, ce comportement s’apparente à une dévotion lucrative, en réalité il illustre une terrible course à la productivité et une dangereuse culture du « toujours plus ». Les personnes qui traînent cette besogne excellent dans l’exercice du dos rond et se tuent à la tâche en ayant toujours l’enthousiasme greffé au visage. De l’extérieur, elles semblent inépuisables et exemplaires, mais de l’intérieur elles sont complètement à sec. La résilience toxique est devenue une arme pour s’attirer la sympathie et la reconnaissance de ses pairs. Mais elle sonne incompatible avec le bien-être, tant clamé par les entreprises.
La résilience toxique, qu’est-ce que c’est ?
Dans l’univers du travail, la résilience est toujours avancée comme une force d’esprit. Si à l’origine, cette résistance mentale est plutôt bénéfique pour faire face aux défis, aux crises et à la pression, lorsqu’elle se radicalise, elle peut causer de sérieux dégâts. La résilience est tellement idolâtrée en entreprise, qu’elle finit par devenir une obligation pour se « faire bien voir ». Certaines personnes l’appliquent sans modération, simplement dans le but de conserver leur place et de se hisser en élève modèle de l’openspace.
Alors que la résilience positive implique la capacité de rebondir devant l’adversité, la résilience toxique pousse les employé.e.s à maintenir des niveaux insoutenables de stress, à ignorer leurs propres limites et à sacrifier leur bien-être en échange de performances professionnelles supérieures. Ce qui est supposé être une qualité se transforme alors en un poison invasif. Ces personnes qui tentent de porter tous les challenges de l’entreprise sur leurs épaules ont même été rebaptisées les « toxic handlers ».
Elles ont tendance à mettre leurs émotions sous cloche, réprimer leur vulnérabilité, travailler sans compter et voler à la rescousse de leurs collègues en difficulté. C’est l’incarnation même de la bienveillance, l’Avengers du relativisme, l’allégorie de la stabilité à toute épreuve. Même si ces salarié.e.s en proie à la résilience toxique sont un peu les « gardien.ne.s de la paix” du bureau, à trop vouloir diffuser le bien, ils finissent par se faire très mal.
Comment reconnaître la résilience toxique ?
Les personnes touchées par la résilience toxique s’oublient au profit du rendement. Ce sont des machines de guerre du travail, des acharné.e.s du boulot. Elles sont capables d’avorter leur pause déjeuner pour boucler un dossier urgent ou faire des heures supplémentaires non rémunérées pour acquérir les mérites de leur « N+1 ». Elles cultivent le syndrome du « ce n’est jamais assez ». Autre symptôme : elles sont intolérantes à l’échec. Si une tâche n’est pas « parfaite » à leurs yeux, elles peuvent la recommencer quinze fois, quitte à faire des nuits blanches. Elles développent un complexe du « superhéro » et pensent être les seules à pouvoir résoudre les problèmes de l’entreprise.
Leur plus grande crainte n’est pas que la machine à café tombe en panne, mais que leur supérieur perce à jour leurs fêlures. Selon elles, exprimer ouvertement ses inquiétudes ou ses contrariétés, c’est risquer de se mettre sur le banc de touche et de paraître inapte pour l’employeur.se. Le travail devient leur moteur principal, leur raison de vivre, à tel point qu’elles finissent par se couper de tous liens sociaux. Elles font passer leur boîte mail professionnelle avant leur conversation Whatsapp et privilégient les nocturnes sur l’ordinateur plutôt que sur le dancefloor.
Les effets désastreux de la résilience toxique
La résilience toxique est un lourd fardeau. En plus de provoquer une saturation mentale, elle incite à la négligence de soi. Les personnes qui en souffrent ne ménagent jamais leurs efforts et s’embourbent dans un cycle du défi permanent. La résilience toxique est d’ailleurs le terreau fertile du burnout. C’est d’autant plus le cas si l’employé.e se tue à la tâche sans jamais récolter un seul signe de gratification de son/sa supérieur.e. Iel aura toujours ce goût d’inachevé ou de médiocrité et se poussera encore plus à l’épuisement.
Paradoxalement, la qualité du travail se retrouve aussi entachée. En étant toujours dans le dépassement de soi, les personnes qui souffrent de résilience toxique cumulent une grosse fatigue. Difficile donc de prendre des décisions éclairées et de résoudre des problèmes de manière innovante en étant dans cet « état second ». La résilience toxique attaque les relations sociales, la clairvoyance et l’estime de soi en plein cœur.
Elle déteint également sur la santé physique. Selon une étude menée par l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, les personnes qui passent plus de dix heures par jour à travailler ont 29 % de risque supplémentaire d’être victime d’un AVC. En parallèle, pour grappiller quelques heures de travail, les personnes esclaves de la résilience toxique vont aussi délaisser leur besoin « primaire ». S’en suivent alors des troubles de l’alimentation et du sommeil.
Comment se libérer de cette attitude asservissante ?
La résilience toxique est assez insidieuse puisque bien souvent les personnes qui en souffrent n’en ont pas conscience. Elles estiment que c’est naturel, voire impératif pour survivre dans ce milieu impitoyable et féroce. Elles se disent que cette sueur professionnelle est un ticket gagnant pour garder leur job.
La résilience toxique paraît faire planer une belle auréole au-dessus de la tête, mais aussi une tranchante épée de Damoclès. Si elle est plutôt tenace, elle n’est pas forcément éternelle. Voici quelques pistes pour inverser cette vision aliénante du travail :
- Reconnaître les signes : la première étape est de reconnaître les signes de ce comportement malsain. Soyez honnête avec vous-même sur les schémas de surmenage, d’épuisement et de négligence personnelle.
- Réévaluer les attentes : prenez du recul et remettez en question vos attentes envers vous-même. Redéfinissez votre propre notion de réussite. Apprenez à accepter que la perfection n’est pas réaliste.
- Poser des limites : apprenez à définir et à respecter des limites claires entre votre vie professionnelle et personnelle. Fixez des heures de travail régulières et assurez-vous de consacrer du temps à vos passions, à vos loisirs et à vos relations.
- Pratiquer l’auto-compassion : soyez gentil.le avec vous-même. Évitez de vous critiquer lorsque les choses ne se déroulent pas comme prévu. Traitez-vous avec la même bienveillance que vous le feriez pour un ami.
- Apprendre à dire non : apprenez à dire non aux engagements excessifs qui pourraient compromettre votre bien-être. N’ayez pas peur de décliner des projets ou des tâches qui ne correspondent pas à vos priorités.
La résilience toxique n’est que le sombre reflet d’un milieu professionnel contradictoire qui vante la quiétude des salarié.e.s, mais qui prône l’efficacité à « tout prix » et la compétition. Même si la résilience peut claquer sur le CV, lorsqu’elle est exploitée de force, elle bascule dans un « laisser passer » très regrettable.