Imaginez devoir demander à votre conjoint.e de l’argent dès que vous souhaitez vous offrir un vêtement ou payer un croissant à votre enfant pour le goûter. Impensable n’est-ce pas ? Et pourtant, c’est dans cette situation que se retrouvent des milliers de personnes handicapées en concubinage ou mariées, en France. Pour mettre fin à cette injustice autour de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), une femme a décidé d’adresser une pétition au Sénat. On vous raconte.
L’AAH calculée en fonction des revenus du ménage
Comme le raconte Liberation.fr, la vie de Véronique Tixier bascule lorsqu’elle est victime d’un grave accident de voiture, à l’âge de 8 ans. Remise tant bien que mal de ce traumatisme, elle se met en couple. Et quelques années plus tard, décide de faire un enfant avec son conjoint, Sylvain du Villard.
Il y a cinq ans, elle se trouve à la maternité. On lui demande de remplir un formulaire de la CAF demandant si elle vit en concubinage. Et si oui, depuis combien de temps. Elle note « six mois », ignorant qu’elle vient de stopper net le versement de son AAH. Et pour cause, cette aide financière est calculée en fonction des revenus du ménage. Si le.a conjoint.e gagne plus de 1 634 €, la personne handicapée ne touchera plus rien.
Quelques mois après son retour à la maison, elle se voit ainsi adresser un courrier de la CAF lui demandant de rembourser les six derniers mois d’AAH. Soit une somme équivalente à 5 000 €, qu’elle rembourse avec sa prime de naissance. L’AAH était alors de 800 €, disparus du jour au lendemain. À l’heure actuelle, Véronique Tixier et Sylvain du Villard sont surendettés et vivent sans chauffage central.
Rappelons que cette aide, d’environ 902 € par mois, vise à compenser une impossibilité de travailler due au handicap. Elle est versée à plus de 1,2 million de personnes en France dont environ 270 000 sont en couple.
#SignezPourNotreAutonomie : une pétition pour alerter le Sénat
En septembre dernier, Véronique Tixier décide donc de lancer une pétition sur la plateforme e-pétition du Sénat, afin qu’on ne prenne plus en compte les revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH. Si les débuts sont timides, la pétition explose courant décembre grâce au relais d’associations et de militants via le hashtag #SignezPourNotreAutonomie. Vient se rajouter la chronique de l’humoriste Nicole Ferroni sur France Inter que vous pouvez revoir ci-dessous :
À l’heure de l’écriture de cet article, la pétition a recueilli 41 869 signatures sur les 100 000 nécessaires afin que le texte soit étudié par les sénateurs. Comme le rappelle Véronique Tixier dans le texte qui accompagne la pétition, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de loi supprimant la prise en compte des ressources du conjoint dans le calcul de l’AAH en février 2020. Pour autant, les choses sont loin d’être entérinées et mises en place.
En effet, la proposition de loi s’est faite contre l’avis de la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel. Cette dernière proposait de « rendre un rapport d’ici le mois de juin sur les gagnants et les perdants d’une telle réforme« . Elle estime les perdants plus nombreux que les gagnants. Depuis, le fameux rapport n’a jamais vu le jour et le texte de loi n’est toujours pas dans l’agenda du Sénat.
Une question de survie pure et simple
Au-delà de la question de dépendance financière, il s’agit d’une question de survie pure et simple pour Véronique Tixier (et sans nul doute, bien d’autres). Avant la naissance de son enfant, elle participait aux dépenses du loyer, payant tantôt l’eau puis l’électricité. Elle pouvait aussi s’offrir une robe de temps à autre, un rendez-vous chez l’esthéticienne ou encore une séance au sauna pour soulager ses douleurs dorsales. Si ces 800 € ne lui permettaient pas de vivre comme Gatsby, elle avait au moins une certaine autonomie.
Désormais, l’Auvergnate de 43 ans récupère ses vêtements et ceux de son fils en boutique d’échange, des magasins spécialisés dans le troc. Et lorsqu’elle souhaite acheter quelque chose :
« Il faut que je demande à mon concubin, comme si j’étais placée sous curatelle ou sous tutelle. »
Son conjoint, Sylvain du Villard, poursuit :
« Il y a des handicapées qui ne veulent pas se mettre en ménage, ne pas faire d’enfants, à cause du risque de perdre l’allocation. »
Véronique Tixier reçoit d’ailleurs de nombreux messages en ce sens depuis le lancement de la pétition. Certaines femmes handicapées lui racontent les violences qu’elles subissent parce qu’elles ne « ramènent pas d’argent à la maison ». Et cette mendicité qu’elles doivent faire auprès de leur partenaire pour obtenir un peu d’argent.
Toujours selon Libération.fr, le mode de calcul de l’AAH est ainsi souvent cité comme un facteur aggravant des violences conjugales. Il contraint les femmes handicapées à rester avec un compagnon violent, faute de ressources propres.
Si Véronique Tixiet et Sylvain du Villard n’obtiennent pas gain de cause par le biais de la plateforme e-pétition du Sénat, ils comptent saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme. Affaire à suivre donc…