Les toilettes scolaires ont épongé de nombreuses critiques sur leur propreté, mais pas seulement. Absence d’intimité, insalubrité, peur du jugement… les élèves redoutent leurs allers-retours sur la cuvette et finissent au bout du rouleau. Véritable nid à problèmes, les sanitaires des écoles connaissent cependant une petite révolution. De nombreux établissements misent sur les toilettes non-genrées, un environnement mixte, digne de confiance. Il se dit que dans ces lieux l’inclusivité coule à flots. Décryptage.
Les toilettes non-genrées, une question de santé
Avec leur légendaire savonnette jaune, leur sèche-main souvent en panne et leurs joyeux tags gravés au compas, les sanitaires des établissements scolaires ont de quoi laisser des traces dans la mémoire. Pourtant, pousser cette porte qui étiquette « femmes » et « hommes » par des petits symboles est un véritable supplice pour certain.e.s élèves. Si les séries dépeignent ces lieux impersonnels comme des merveilles à bizutage, il ne suffit pas d’en arriver à cet extrême pour créer des appréhensions.
Manque d’intimité, peur du jugement, hygiène peu engageante… le passage sur le trône n’a rien de royal derrière les murs de l’école. D’après une étude Harpic-Harris Interactive datant de 2020, un.e enfant sur deux ferait en sorte de ne jamais utiliser les toilettes de son école. Pire, 70 % s’y rendent au dernier moment, « quand ils ne peuvent pas se retenir ». Propreté dérisoire, matériel vétuste, harcèlement, honte… voilà les arguments le plus souvent avancés par les élèves pour justifier cette phobie des w.c..
Se priver de toilettes : un geste risqué
Faire semblant de tousser pour étouffer les bruits, garder la main enfoncée sur le verrou « au cas ou »… ces astuces régulières en disent long sur le rapport des élèves aux sanitaires. L’intimité est une denrée aussi rare que le papier toilette dans ces espaces partagés. Les cloisons, semi-ouvertes et aussi légères que du carton, freinent les envies, même les plus pressantes. Mais le corps en essuie les conséquences.
Privé de cette vidange essentielle, il se fait rattraper par des problèmes, parfois handicapants. Selon le rapport de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement (ONS), 15 % des élèves du second degré souffrent de constipation aiguë ou chronique, et 22 % d’infection urinaire. Cette aversion des toilettes qui contamine des générations depuis des années est une urgence de santé publique.
Les toilettes non-genrées, initiées par l’Éducation Nationale en 2019 à travers une cellule nommée « bâti-scolaire », ont pour vocation de remédier à cette « résilience sanitaire » et d’ancrer l’égalité homme-femme à l’école. Sachant qu’un.e élève sur cinq est concerné.e par le sexisme en milieu scolaire, cette initiative a toute son importance. Ce modèle est d’ailleurs « banalisé » dans des pays champions de l’égalité comme la Suède.
L’égalité des sexes passe aussi par les toilettes
Les pictogrammes sur les portes des toilettes sont eux-mêmes porteurs de stéréotypes. En analysant bien, l’homme est souvent illustré par une silhouette simple, qui pourrait faire office de norme tandis que la femme, elle, se distingue par sa robe, un symbole assez cliché. Cette perception étriquée des genres qui imprègnent notre société est perceptible dans tous les lieux. Les toilettes non-genrées à l’école déconstruisent justement cette image très binaire pour que chaque élève s’y sente en confiance.
Le mélange des genres au sein des sanitaires permet de se faire sa propre analyse du sexe opposé. C’est une façon comme une autre de s’auto-éduquer. Les toilettes non-genrées jettent certains clichés par la fenêtre. Les garçons pensent que les filles passent leur vie à se reluquer devant le miroir alors que les filles, elles, s’imaginent que les garçons jouent à la rivalité du sexe face aux urinoirs. En côtoyant ensemble cet espace, finis les mythes, les élèves sont dans le vif de la réalité.
Mettre fin à certains tabous
Les toilettes non-genrées déverrouillent certains sujets tabous comme les menstruations. Aujourd’hui, 70 % des hommes sont gênés de parler des règles avec leur femme. Une retenue qui provient d’un manque cruel de connaissance sur le sujet. Pour cause, selon une enquête Nous Toutes, les élèves interrogé.e.s affirment avoir reçu en moyenne 2,7 séances d’éducation sexuelle, contre 21 obligatoires.
À défaut de ne pas répondre aux interrogations des jeunes, les élèves s’enrichissent au détour du lavabo des toilettes ou d’un tampon tombé par terre. Le caractère faussement « privé » des règles devient commun et les idées reçues à l’effigie du fameux « c’est sale » débarrassent le plancher.
Les toilettes non-genrées ouvrent sur une plus juste répartition des élèves, qu’importe leur genre, dans le paysage scolaire. C’est ce que démontre Edith Maruéjoulis-Benoit, docteure en géographie et directrice du bureau d’étude l’ARObE (Atelier recherche observatoire égalité) dans ses « dessins-cour ». Les enfants dépeignent leur cour de récréation en y attribuant des « G » pour les garçons et des « F » pour les filles. Sans surprise, les « G » envahissent la cour de récréation et le terrain de foot alors que les « F » se cantonnent aux toilettes.
« Cette distinction filles-garçons se retrouvera, par la suite, dans le partage de l’espace public, c’est inévitable. Plus tard, les femmes ne se sentiront pas légitimes à l’occuper », précisait-t-elle.
La neutralité pour respecter le genre de chaque élève
Pour certain.e.s élèves, l’école peut devenir une terre hostile. Le harcèlement scolaire, arme de destruction massive de l’estime de soi, fait encore trop de bruit dans les couloirs. Brimades, moqueries, insultes… des gangs malveillants jettent leur venin sur des proies faciles d’accès.
Ces scénarios qui se déroulent dans la plus grande ignorance touchent particulièrement les personnes de la communauté LGBT. Selon SOS Homophobie, 50 % des LGBTphobies envers les jeunes ont lieu à l’école. Et la haine grimpe d’un cran lorsqu’il s’agit d’élèves transgenres. Pour mettre un point final à cette cruauté galopante, l’Education nationale a publié une circulaire pour fixer un cadre sécurisant. Et les toilettes non-genrées figurent dans les grandes lignes.
Il n’est pas rare que les élèves masquent leur identité de genre pour éviter les critiques de leur camarade. Face aux toilettes, les élèves transgenres, minoritaires à l’école doivent redoubler de vigilance pour ne pas s’attirer les foudres. Des filles identifiées en garçons se contentent de respecter les sigles, au détriment de leur identité. Les toilettes non-genrées font tomber les barrières. Il n’y a plus de « il » ou de « elle », il y a des « nous ».
En France, les toilettes non-genrées restent marginales. Cette création dépend des moyens financiers et du bon vouloir des établissements scolaires. Mais les écoles qui les ont testées n’en retiennent que du positif. En Gironde, par exemple, ils ont fait l’unanimité. C’est du propre !