Toone Nicol, portrait d’une artiste qui colore les cimetières avec ses mosaïques

Les cimetières français sont dominés par les nuances ternes. En déambulant entre les stèles, rares sont les sépultures qui transpercent ce camaïeu de gris. Pourtant, les œuvres de Toone Nicol sont comme des puits de lumière dans ces lieux de recueillement. Cette mosaïste aux doigts d’argent s’est spécialisée dans l’art funéraire pour offrir une dernière demeure chaleureuse aux personnes défuntes. Ses mosaïques aux tonalités franches et au style épuré ne sont pas seulement décoratives, elles racontent aussi une histoire, propre à chaque disparu.e. Toone Nicol, femme solaire à la sagesse communicative, aborde la mort avec poésie, en assemblant des petits carrés de couleurs. Entretien avec celle qui insuffle un peu de fraîcheur et de gaieté dans nos cimetières figés.     

Faire des mosaïques dans les cimetières, une révélation tardive

Toone Nicol n’a pas toujours baigné dans la mosaïque. Avant de manier les tesselles et de les transformer en une toile éternelle, elle exerce en tant que maître d’hôtel. Elle décide de troquer son smoking noir et sa chemise blanche contre un tablier et une pince à molette suite à une rencontre marquante. Même si l’idée résidait dans un coin de sa tête, c’est en franchissant les portes de l’atelier de Thérèse Thoreux que ce « rêve de toujours » se concrétise.

Toone avait déjà un don pour cet art pérenne, mais il s’est véritablement révélé aux côtés de cette mosaïste parisienne de métier, qui la supervise. Après plusieurs années d’apprentissage et de collaboration rapprochée, Thérèse, sa mentore, s’envole vers le paradis blanc, laissant derrière elle une oeuvre inachevée. Comme une mise à l’épreuve pour sa fidèle disciple. En 2001, après le décès de celle qui lui a tout enseigné, Toone Nicol prend naturellement le relais.

Elle termine la mosaïque de Thérèse et se charge de la poser à sa place. Mais cette œuvre ne se destine pas à orner les murs d’une salle de bain ou le sol d’une terrasse comme c’est souvent le cas. Elle est vouée à passer les grilles du cimetière de Passy dans le 16e arrondissement. C’est là que Toone se rapproche de ce monde parallèle et commence à se lier avec l’au-delà.

« C’était un dernier hommage. Une façon de la remercier pour tout ce qu’elle avait fait pour moi. Je devais continuer son travail, c’était comme un héritage », raconte-t-elle

Cependant, à cette époque elle n’en est qu’aux prémices de sa carrière de mosaïste. Elle cherche encore son style et ne préfère pas se fermer de portes. Mais les commandes qu’elle reçoit la ramènent inlassablement à ces dortoirs à ciel ouvert. L’univers semble lui envoyer un message subliminal.

Plus qu’un art, une mission personnelle à accomplir

Toone aurait pu voir dans cet art funéraire une opportunité financière ou un business lucratif, mais ce n’est pas ce qui l’a motivé à en faire sa terre de prédilection. Dresser des mosaïques au milieu des graviers et des caveaux austères ne lui est pas venu à l’esprit tout de suite. C’est à la fin d’une promenade dans le cimetière de Maurepas que ce désir l’a transcendé, de façon presque mystique. Toone est encore investie par les frissons en y repensant.

« Les mots ont traversé mon corps et mon esprit, ça a été d’une grande limpidité. Ça m’est tombé dessus d’un coup, comme une révélation foudroyante », décrit-elle

Un éclair de lucidité qui l’a amené à prendre ce rôle très à cœur et à se consacrer aux mosaïques funéraires, comme pour adoucir le deuil. Toone n’est pas vraiment intimidée ou effrayée par la mort. Elle lui a fait face à l’âge de 16 ans, lors d’un accident de voiture. « Je suis sortie de mon corps, j’avais l’impression d’être passée de l’autre côté », explique-t-elle.

Même si Toone n’a jamais perdu quelqu’un de cher, elle sait ô combien la peine est intarissable. À travers ses tableaux, elle espère faire vivre l’âme des défunt.e.s autrement, de façon plus imagée. Elle leur réserve un champ de repos qui réveille les beaux souvenirs et chasse les mauvais.

« Je me sens utile pour les autres. Je contribue à une étape du deuil. Le fait que les tombes soient plus enjouées et singulières, ça casse aussi les tabous », détaille-t-elle la voix pleine d’émotions

Voir les oeuvres de Toone

Redonner une personnalité aux pierres tombales

Dans les cimetières, les tombes sont impersonnelles et semblent se cloner d’une allée à une autre. Seuls quelques cryptes et autres mausolées à moitié en ruine se distinguent du reste avec leurs ornements détaillés et leur architecture opulente. Ce sont des dédales de pierres moroses, sinistres et froides.

Ces lieux, où le silence est roi et où les conversations sont laissées sans réponse, n’aspirent pas vraiment à la paix intérieure et à la sérénité. Mais Toone, désormais soixantenaire, veut faire entrer l’art dans les cimetières. Elle apporte cette étincelle qui manque trop souvent lors de ces tête-à-tête solennels.

« Ces pierres tombales sont une seconde maison. Elles se doivent d’être à l’image de la personne défunte, ce que ne permettent pas les monuments standardisés », soutient-elle

Les mosaïques funéraires de Toone sont toujours raccord avec la personnalité ou les hobbies des défunt.e.s qu’elles abritent en dessous. En un coup d’œil, elles délivrent d’innombrables indices et brossent un portrait plus clair de celui ou celle qui se cache derrière ce nom sur l’épitaphe. Une tortue pour un amateur de plongée, des scènes bibliques vives pour les croyants fidèles, un caducée en l’hommage d’un docteur… Toone façonne des œuvres contemplatives, mais aussi immersives.

Après une concertation avec la famille endeuillée, la mosaïste, qui se fait artisane des mémoires, s’exécute sur un filet. Elle sollicite des matériaux robustes, qui restent intacts malgré les intempéries. Un travail de fourmis qui peut prendre jusqu’à deux mois. Mais une fois le résultat fini, Toone exprime une infinie gratitude. Elle se sent chanceuse de pouvoir apporter sa pierre à l’édifice et donner du relief à cette vie laissée en suspens.  La mosaïste, elle, sait déjà ce qu’elle veut voir sur sa tombe.

« J’aimerais que tous les mosaïstes de mon entourage fassent un petit carré de mosaïque et que tous soient assemblés comme un patchwork », imagine-t-elle

Toone Nicol est l’intermédiaire entre deux univers, celui des morts et celui des vivants. Gardienne du souvenir, elle laisse une empreinte précieuse de la personne disparue et rend son identité impérissable. Ces carrés sont des morceaux de vie. 

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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