Le viol conjugal est une réalité insidieuse, trop souvent tue, qui se cache derrière les portes de nos foyers. Ce n’est pas parce qu’il existe un lien marital ou amoureux qu’une relation sexuelle forcée est excusable. Le viol conjugal est un crime, un acte d’une gravité extrême qui inflige des dégâts psychologiques et physiques dévastateurs. En témoigne l’actualité de ces derniers jours avec le procès de l’Affaire Pélicot. Dans une société où l’intimité conjugale est encore considérée comme un sanctuaire privé, il est difficile d’imaginer qu’un tel acte de violence puisse s’y produire. Et pourtant…
Dans 91 % des cas de violences sexuelles, les femmes connaissent les agresseurs
Le viol conjugal n’a malheureusement rien de nouveau. À travers l’histoire, les droits des femmes dans les relations conjugales ont souvent été négligés. Pendant des siècles, le mariage était vu comme une forme de contrat dans lequel la femme « devait » certaines choses à son mari, y compris l’acte sexuel. L’idée même qu’une femme puisse refuser un rapport sexuel à son époux était perçue comme absurde dans de nombreuses cultures.
En France, il a ainsi fallu attendre 1990 pour que le viol conjugal soit officiellement reconnu comme un crime, grâce à un arrêt de la Cour de cassation. Avant cela, le concept même de « viol conjugal » était jugé irrecevable. Après tout, comment pouvait-on violer quelqu’un avec qui on était marié ? Cette question, bien qu’elle semble archaïque aujourd’hui, a été au cœur d’une longue lutte pour les droits des femmes.
« Dans 91 % des cas de violences sexuelles, les femmes connaissent les agresseurs. Pour la plupart, ces hommes ne sont pas des « monstres » ou de « violents psychopathes » exclus de notre société qui se cachent dans des allées sombres, mais bien nos partenaires, nos amis, nos frères, nos collègues ou nos mentors » – Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité », moyenne entre 2012 et 2017 (2019)
Mais… c’est vraiment du viol ?
Le viol conjugal est souvent minimisé, et il n’est pas rare d’entendre des phrases telles que « mais ils sont mariés ce n’est pas du viol », ou « elle ne peut pas refuser, c’est son devoir, son mari a des besoins ». Ces idées fausses participent au maintien d’un tabou autour de cette forme de violence.
Imaginez un instant : vous êtes dans une relation avec quelqu’un que vous aimez, mais ce dernier commence à vous forcer à avoir des rapports sexuels. Vous dites « non », mais il insiste, vous fait sentir coupable ou encore exerce une pression. Parfois, il va même jusqu’à la violence. Est-ce que le fait que cette personne soit votre conjoint.e change quelque chose à l’horreur de la situation ? Absolument pas.
Il est essentiel de comprendre que le viol, quelle que soit la relation entre l’agresseur et la victime, consiste en l’acte d’imposer une relation sexuelle sans le consentement de l’autre. Le mariage, ou toute autre forme de relation amoureuse, ne change rien à cette réalité. Le consentement est un élément fondamental de toute relation saine. Si l’une des parties est forcée, contrainte ou manipulée pour avoir des rapports sexuels, cela constitue un viol.
En finir avec la notion de « devoir conjugal »
L’une des idées les plus tenaces, et sans doute les plus destructrices, est celle de ce fameux « devoir conjugal ». Pendant des siècles, cette notion a été utilisée pour justifier la soumission de l’un des époux à l’autre, principalement des femmes envers leurs maris. Le devoir conjugal implique l’idée qu’un.e partenaire, souvent la femme, aurait l’obligation « morale » ou légale de satisfaire les désirs sexuels de son conjoint, qu’elle en ait envie ou non. Une telle croyance alimente la culture du viol dans le mariage et doit être définitivement abolie.
Ce qui est encore plus pernicieux, c’est l’idée que ce refus puisse être interprété comme une violation du contrat marital ou un manquement aux obligations. Rappelons-le : le mariage n’est pas une servitude sexuelle. Il n’existe aucun devoir sexuel entre époux, et considérer que l’un.e des partenaires « doit » à l’autre un rapport intime est un abus de pouvoir. La sexualité, dans le cadre du mariage ou dans toute autre relation, doit être un acte basé sur l’envie réciproque et le consentement mutuel. Et ce consentement est nécessaire à chaque étape de la relation, qu’il s’agisse d’un mariage de 10 jours ou de 50 ans. Si l’un.e des partenaires se sent forcé.e ou obligé.e d’accepter un rapport sexuel pour éviter une dispute, des reproches ou encore de la violence, cela relève de la contrainte, et donc de la violence sexuelle.
Rompre avec cette idée du « devoir conjugal », c’est réaffirmer que les relations sexuelles ne doivent jamais être obtenues par la coercition, la manipulation ou la pression. Le mariage ne devrait jamais être un prétexte pour justifier la privation du libre arbitre ou le non-respect des limites posées par chacun des partenaires. L’amour véritable n’impose jamais, il ne force jamais l’intimité. Il est basé sur le respect et l’écoute mutuelle.
Des conséquences psychologiques et physiques terribles
Les conséquences du viol conjugal sont multiples et souvent dévastatrices. Pour commencer, il est important de se rappeler que la victime ne se sent pas toujours capable de dénoncer ce qui lui arrive. Le viol conjugal se produit souvent dans un contexte d’abus psychologiques ou physiques répétés, où la victime peut être isolée, manipulée, voire menacée par son agresseur. Il est extrêmement difficile de briser le silence, surtout lorsque l’agresseur est quelqu’un de proche.
Sur le plan psychologique, les victimes de viol conjugal souffrent souvent de dépression, d’anxiété, de stress post-traumatique, et d’une profonde perte d’estime de soi. Le fait que l’agression provienne de quelqu’un en qui elles avaient confiance complique encore plus la guérison. Il n’est pas rare que les victimes ressentent de la culpabilité ou de la honte, se demandant si elles n’ont pas elles-mêmes contribué à la situation.
Sur le plan physique, les conséquences peuvent être tout aussi graves. Le viol conjugal peut entraîner des blessures physiques, des IST (infections sexuellement transmissibles), et des grossesses non désirées. Et au-delà des blessures visibles, il y a les cicatrices invisibles, celles qui marquent à jamais.
Pourquoi est-ce si difficile d’en parler ?
Le silence autour du viol conjugal est assourdissant. Pourquoi est-il si difficile d’en parler ? Plusieurs facteurs entrent en jeu. D’abord, la peur. Beaucoup de victimes craignent les représailles de leur conjoint. Dans une relation où le pouvoir est déséquilibré, où l’abuseur exerce un contrôle financier, émotionnel ou physique, la victime peut alors se sentir piégée. Elle peut avoir peur de perdre ses enfants, sa maison, ou tout simplement sa sécurité.
Ensuite, il y a la honte. Le viol, en général, est souvent entouré d’un sentiment de honte, mais lorsque l’agresseur est quelqu’un que vous aimez ou que vous avez aimé, cette honte est encore plus grande. Les victimes peuvent avoir l’impression qu’elles ont « échoué » dans leur rôle de partenaire, qu’elles sont en quelque sorte responsables de ce qui leur arrive.
Enfin, il y a l’incrédulité des autres. Malheureusement, certaines victimes qui tentent de parler sont confrontées à des réactions de scepticisme ou de minimisation. On peut leur dire des choses comme « ce n’est pas si grave » ou « tu exagères c’est ton mari ». Cette invalidation des sentiments des victimes renforce encore leur isolement et leur silence.
Comment briser le silence ?
Pour les victimes, le plus grand pas vers la guérison est de savoir qu’elles ne sont pas seules. Il est essentiel de parler à quelqu’un de confiance, qu’il s’agisse d’un.e ami.e, d’un.e membre de la famille ou d’un.e professionnel.le de la santé. Sortir du silence est un acte incroyablement courageux, et c’est souvent la première étape vers la reconstruction. Sur le plan légal, le viol conjugal est reconnu dans de nombreux pays comme un crime à part entière.
Toutefois, précisions que porter plainte reste un acte difficile. Il existe des ressources pour les victimes de viol conjugal, des associations telles que le Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV) ou encore SOS Femmes offrent du soutien, de l’accompagnement psychologique, ainsi qu’une assistance juridique. Elles aident les victimes à comprendre leurs droits, à porter plainte et à entreprendre les démarches nécessaires pour se protéger et reconstruire leur vie.
Pour briser le silence autour du viol conjugal, il faut également sensibiliser davantage chacun.e de nous à cette réalité. Parler de ces violences dans les médias, les écoles, les espaces publics peut aider à déconstruire les mythes autour de l’intimité conjugale. Le consentement n’a pas de « pause » parce qu’on est marié, en couple ou engagé. Il est important aussi de renforcer les programmes d’éducation sexuelle et relationnelle. Apprendre aux jeunes, dès le plus jeune âge, ce qu’est une relation saine, ce qu’est le consentement et ce que cela signifie de respecter son partenaire est fondamental pour prévenir les violences sexuelles, y compris au sein des couples.
Le viol conjugal est une forme de violence sournoise, difficile à détecter et à dénoncer. Mais chaque voix qui s’élève pour dénoncer cet acte barbare est une lueur d’espoir. La prise de conscience collective est essentielle pour protéger les victimes, éduquer chacun.e de nous, et faire en sorte que chaque personne, mariée ou non, puisse vivre dans une relation fondée sur le respect et l’amour, sans jamais craindre la violence.