Depuis l’émergence du mouvement #MeToo, les paroles se délient et l’omerta autour des violences sexuelles s’efface. Face à ces histoires d’une brutalité inouïe, on reste sans voix et on se sent totalement impuissant·e. Ces mots résonnent comme un coup de massue. Pour ces êtres qui portent des stigmates invisibles, le chemin pour renouer avec ce corps martyrisé est semé d’embûches. Les victimes enchaînent les étapes douloureuses et sont contraintes de replonger dans ce passé âpre.
Pour panser ces plaies enfouies, l’entourage joue un rôle clef. Armés d’un discours bienveillant et d’un enthousiasme débordant, les proches servent de béquille. Pourtant, face à de telles annonces, les réactions fluctuent. Déchiré·e entre l’effarement, la haine et la peur de dramatiser, on peut vite perdre pied. Alors, comment réagir ? Quels comportements éviter ? En cette Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, éclairage avec Barbara Chistoni, psychologue spécialisée sur les questions de violence.
La femme perçue comme objet de satisfaction
Selon les chiffres du gouvernement, 94 000 femmes en moyenne âgées de 18 à 75 ans, sont victimes de viols ou de tentatives de viol au cours d’une année. Dans de nombreux cas, ces actes sont perpétrés au sein du foyer familial et restent piégés dans l’intimité. En effet, d’après les données de l’INSEE, dans 45 % des situations, l’agresseur est le conjoint ou l’ex-conjoint. Une enquête menée par la BBC au Royaume-Uni tirait un constat plus cinglant.
Au total, 38 % des femmes britanniques de moins de 40 ans auraient déjà été maltraitées pendant des rapports sexuels. Précisément, elles auraient été giflées, étranglées, bâillonnées, et certaines auraient même reçu des crachats à la figure. « En France, il y a des lacunes au niveau de l’éducation sexuelle et sentimentale, ce qui peut conduire les jeunes vers les sites pornographiques. Sauf que les pratiques présentées dans les films X sont de plus en plus violentes et se révèlent très dégradantes pour la femme », explique Barbara Chistoni. Ces images totalement biaisées ramènent à cette domination patriarcale latente.
Une société culpabilisante
Malgré les évolutions engendrées au fil des décennies, les femmes pâtissent encore d’idéaux archaïques. D’ailleurs, mi-mars, la notion de « devoir conjugal » revenait sur le devant de la scène. La Cour d’appel de Versailles avait sanctionné une femme en 2019 parce qu’elle refusait d’avoir des rapports avec son mari. Choquée par ce jugement misogyne, elle a décidé de déposer un recours contre la France pour « ingérence dans la vie privée » et « atteinte à l’intégrité physique ».
Au 21e siècle, ces faits d’actualité consternants se multiplient. La spécialiste rappelle qu’un autre fléau noie les victimes d’agression sexuelle dans une vague de honte. Il s’agit du « victim blaming », un mécanisme insidieux qui rejette la faute sur la personne qui a subi les horreurs.
« Les phrases telles que : « Comment étais-tu habillée ce jour-là ? », « Est-ce que tu avais bu de l’alcool ? » ou « Qu’est-ce que tu faisais dehors à une heure pareille ? », renforcent le sentiment de culpabilité. La victime se sent encore plus fautive et aura tendance à minimiser l’agression », alerte la thérapeute.
Accueillir la parole des victimes, une nécessité
1 – Être à l’écoute et rassurer
Si une de vos amies se confie sur un épisode de violence sexuelle, il est impératif de la laisser s’exprimer, de ne pas l’interrompre et d’éviter les jugements à l’image des fameux : « Moi à ta place… ». Elle brise le silence parce qu’elle vous accorde une grande confiance.
Selon une étude du gouvernement britannique publiée en 2016, la victime se livre en premier lieu à l’entourage avant de franchir le pas de la gendarmerie ou de rejoindre des organismes d’aide. Votre soutien est précieux. « J’ai été violée », ces trois mots répandent un grand frisson d’effroi et restent lourds à porter. Cependant, votre réponse à l’égard de cette mise à nu salutaire est décisive pour la victime.
« Écouter, rassurer et épauler sont les mots d’ordre pour une approche salvatrice. La victime a besoin de trouver une connexion chez l’autre, de créer une connivence pour se sentir comprise », conseille Barbara Chistoni.
« Avec moi tu peux tout dire », « Je vais tout prendre », « Je suis là »… ces mots simples rassurent et libèrent la victime d’un poids. Il faut la revaloriser en lui rappelant que témoigner est un acte courageux, ce qui l’aidera à se dire qu’elle a fait le bon choix.
2 – Des signes qui doivent alerter
En toile de fond, une forme de mal-être peut vous traverser. Vous vous sentez coupable de ne pas avoir pu agir plus tôt. Mais certaines attitudes peuvent mettre en garde. En effet, une agression sexuelle laisse de multiples séquelles psychologiques. « D’un point de vue clinique très strict, tout changement brutal de comportement amène à un questionnement », décrit la psychologue.
Le site SOS Femmes dresse une liste complète des conséquences quasiment récurrentes. Baisse de l’estime de soi, manque d’assurance, difficultés sexuelles et relationnelles, somatisation (problèmes gynécologiques, douleurs au ventre…), conduites addictives ou d’autodestruction (anorexie, boulimie, mutilation…), dépression… toutes ces facettes doivent éveiller les soupçons.
« Tout ce qui est de l’ordre de la sous ou de la sur consommation, tous ces extrêmes mettent la puce à l’oreille. Ça peut paraître totalement stéréotypé, mais un changement radical de style vestimentaire est parfois loin d’être anodin ». Pour amorcer le dialogue en cas de doutes, oubliez les tons agressifs ou le surplus de questions. « On peut dire « J’ai lu cette information sur les violences sexuelles » ou tout simplement y aller de manière frontale. C’est un exercice difficile, mais ça permet de poser des mots sur cet événement douloureux », renchérit l’experte.
3 – Des outils éclairants arrivent en renfort
Si vous craignez de sombrer dans les maladresses, vous pouvez l’accompagner d’une autre façon. Par exemple, guidez-la vers des outils ou des supports informatifs. En parallèle, renseignez-vous sur les ouvrages éclairants, les initiatives, les documents préventifs ou sur les comptes Instagram instructifs… Il y a plus de trois ans, le Centre Hubertine Auclert a développé un « Violentomètre », un thermomètre qui évalue les différents degrés de violence au sein du couple.
Vert : « profite ». Orange : « dis stop ». Rouge : « protège-toi ». Ce code couleurs indique le niveau de toxicité d’une vingtaine de comportements du conjoint. Récemment, cet instrument novateur a pris place sur les emballages papier des baguettes de pain. Une opération visant à étendre cette lutte contre les prédateurs abusifs. Vous pouvez aussi vous procurer le livre « Manuel d’action pour en finir avec les violences sexistes et sexuelles », écrit par Caroline de Haas. Dans le sillage de cet ouvrage, le collectif féministe #NousToutes a mis en ligne une vidéo comportant cinq conseils pour épauler une victime.
La justice française en panne, les associations lèvent les armes
Chaque année, 13 à 14 000 cas d’affaires de viols sont saisis par les tribunaux. Mais la justice ne connaît que 10 % des affaires de viols, soit le sommet de l’iceberg. Dans les rues, les collages féministes s’érigent en cri du cœur. « Ma jupe n’est pas une invitation », « La honte doit changer de camps », « Écoutez les victimes pas les agresseurs »… autant de slogans coups de poing qui dénoncent ces impunités. Les associations creusent le terrain de la reconnaissance avec acharnement. Ainsi, toutes les voix qui s’élèvent commencent à se faire entendre.
Si vous êtes victime de violences sexuelles, vous pouvez vous tourner vers le Collectif féministe contre le viol, l’AVFT en cas de harcèlement sexuel au travail, les 130 centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles, l’Association Internationale des Victimes de l’inceste, le 3919, numéro gratuit pour toutes les violences faites aux femmes, l’Institut de victimologie à Paris.