Les filles qui jouent aux petites voitures, tapent dans le ballon rond et préfèrent les outils de bricolage à la fameuse dînette sont tout de suite affublées du titre de « garçon manqué ». Dès qu’elles s’éloignent un peu trop de l’idée de la fille sage et vulnérable, cette expression afflue comme pour justifier une « anomalie ». Ce terme, dégainé à tout va face à une fille qui porte du bleu, aime la castagne ou se passionne pour Karz, transpire de sexisme. En plus d’être dégradant et de sous-entendre une sorte de défaut de fabrication, le qualificatif « garçon manqué » est une injure déguisée. Voici donc pourquoi il faut arrêter de dépeindre les filles casse-cou qui ont déjà des « blessures de guerre » à 8 ans en « garçon manqué ».
Mais au fait d’où vient ce terme « garçon manqué » ?
Une fille qui se déguise en cowboy, commande des crampons à Noël, fait des cascades en BMX ou pratique un sport de combat entendra forcément au moins une fois le terme « garçon manqué » au cours de sa jeune existence. Une expression devenue tristement « banale ». Elle ressort inlassablement dès qu’une fille renonce à coiffer ses poupées ou à convertir sa chambre en salon de thé. Les filles qui s’habillent dans le rayon du sexe opposé, incarnent le papa dans les jeux de rôle et n’invitent que des camarades masculins à leurs anniversaires ont l’étiquette du « garçon manqué » qui leur colle au front.
Cette expression qui a réussi à s’encastrer dans le langage courant et à devenir un attribut lambda a le don d’effrayer les parents, comme s’il s’agissait d’une maladie incurable. « Ma fille est un garçon manqué, est-ce grave ? », « Comment faire pour ne plus être un garçon manqué ? »… Autant de requêtes qui s’écrivent régulièrement dans la barre de recherche de Google. Des interrogations qui résument assez bien l’état d’esprit de notre société, enlisée dans les stéréotypes de genre.
Un terme daté à connotation péjorative
L’expression « garçon manqué », employée sans discernement à la manière d’un adjectif classique, a d’abord eu son pendant « anglais », le mot « tomboy ». Au XVIe siècle, il caractérise une « femme présomptueuse, une prostituée ». Mais à compter de 1590, la définition subit une métamorphose pour évoquer « une fille sauvage, folle, qui agit comme un garçon fougueux ».
Il faut attendre le XXe siècle pour voir émerger le terme “garçon manqué”, qui en apparence, semble un peu plus clément que son équivalent anglophone. Pourtant, il ne faut pas creuser bien loin pour s’apercevoir de sa connotation médiocre. D’ailleurs cette expression trouve sa source dans une époque révolue, où les femmes n’avaient pas encore acquis le droit de travailler ni d’arborer des pantalons.
Une expression de nature sexiste
Le sexisme s’insinue précocement dans l’esprit des enfants. Certes le terme « garçon manqué » ne comporte pas nécessairement d’arrière-pensées, mais il cristallise un peu plus les stéréotypes de genre. Il range les hommes d’un côté et les femmes de l’autre, tout en perpétuant le précepte du mâle dominant. Une fille qui écorche souvent ses jeans, se salit dans la boue, pilote des chars télécommandés ou dévale les pentes sur le dos de sa petite moto est un OVNI au regard de cette société ultra genrée. Le terme « garçon manqué », qui prend souvent la forme d’un pic aiguisé, lui fait croire qu’elle est « bizarre ». Il induit qu’il y a une faille dans ses comportements ou ses loisirs.
En clair, elle n’est pas assez bien pour être une fille, mais il lui manque tout de même quelque chose (visiblement un chibre) pour être totalement un garçon. L’expression « garçon manqué » la rend « inclassable », voire « exotique ». En revanche, lorsqu’un garçon arbore des ailes de fée ou idolâtre la Reine des Neiges, personne ne le rebaptise « fille manquée ». Un constat exposé par l’autrice Erell Hannah sur le site de l’association Osez le féminisme!.
Dans le sens inverse, le terme n’existe pas. Le mot « fille » étant vraisemblablement déjà l’insulte ultime pour la gent masculine. Au même titre que ses dérivés « femmelette » ou « fiotte ». L’expression « garçon manqué » porte donc en elle-même un jugement de valeur négatif. Elle suggère qu’une fille qui ne correspond pas aux normes de féminité est défectueuse. Elle place également les hommes sur un piédestal et capitalise leur prétendue supériorité.
« Garçon manqué » induit d’office un « raté »
L’expression « garçon manqué » a tendance à faire cogiter. Elle résonne en boucle dans tous les coins de la tête. Les jeunes filles, qui ne demandent qu’à être en paix avec leurs blocs de construction, leur console de jeux et leurs grosses baskets à scratch, ont alors l’impression d’être « à part ». Ce « garçon manqué » auquel elles n’avaient pas forcément fait de cas mue doucement en élément de « moqueries » et devient un ciment à complexes.
Pour cause, le mot « manqué » signifie qu’elles ne sont pas « finies » ou tout bonnement loupées. Il revient à les hisser en brouillon médiocre d’un garçon ou en fille inachevée. Or, faire croire à un.e enfant qu’iel est « raté.e » ou « défaillant.e » lui laisse penser qu’iel est un échec, une erreur. C’est un énorme coup de marteau dans la confiance en soi. La jeune fille a beau dépasser tous ses camarades à la course ou exceller dans le football, elle verra ses capacités se distordre sous le poids de ces mots, par ailleurs dénués de sens.
Un terme qui brouille la quête identitaire
L’expression « garçon manqué » invite gentiment les filles à troquer leurs petites voitures contre un baigneur et un landau. D’ailleurs elle interprète des signes masculins là où il n’y a que divertissement et amusement. Or, les attitudes des enfants ne comportent pas toujours des messages cachés. Ce terme sème la confusion entre expression de genre et identité de genre.
Une fille peut avoir les cheveux courts, des éraflures et s’associer nettement au genre féminin. Mais elle peut aussi se sentir en désaccord avec le sexe assigné à la naissance. Le terme « garçon manqué » est un peu un fourre-tout où atterrissent les personnes qui font front aux codes de genre. Il réfute le caractère fluide du genre. Nos comportements ne constituent qu’une infime partie de notre identité. Ils ne sont en aucun cas un indicateur prématuré de « lesbianisme ».
Lorsque ces filles sont étiquetées comme « garçons manqués », elles sont confrontées à une pression sociale qui leur dit qu’elles ne correspondent pas à ce qu’elles devraient être en tant que filles. Ce qui peut faire la poudre à canon de conflits internes. Le terme « garçon manqué » chamboule la construction de soi. Les jeunes filles se retrouvent tiraillées entre le désir d’être pleinement soi et l’envie de rentrer dans le moule. Certaines renoncent alors à qui elles sont pour se conformer aux attentes de la société.
Le terme « garçon manqué », même insufflé dans les oreilles innocentes des jeunes filles, fait des dégâts sur son passage. Il rabaisse toutes les filles qui « daignent » franchir la frontière du genre masculin ou explorer d’autres horizons.